L’expression “muet comme une carpe” évoque souvent la capacité de rester silencieux en toutes circonstances. Mais doit-on en conclure que, parce qu’ils n’émettent pas de voix, les poissons seraient incapables de ressentir la douleur ? Selon plusieurs recherches récentes et expériences, il apparaît que ces animaux peuvent bel et bien souffrir lorsqu’ils subissent un traitement douloureux. Cette constatation soulève donc des interrogations éthiques importantes, notamment sur leurs méthodes de capture et d’abattage.
Qu’est-ce qui définit la douleur ?
Au cours des vingt dernières années, la science a accumulé un grand nombre d’études montrant que les poissons sont capables de percevoir la douleur. Ces travaux analysent généralement deux dimensions :
- La capacité des poissons à repérer des stimuli potentiellement nocifs pour leur organisme, autrement dit la nociception. Bien que cette réponse soit connue chez de nombreux mammifères, y compris l’humain, elle repose sur un système nerveux structuré qui leur permet de détecter et de réagir face à des sensations douloureuses ;
- La composante psychologique de la douleur, c’est-à-dire la conscience et l’appréhension de la souffrance. La présence de comportements non réflexifs face à un stimulus indique que l’animal pourrait éprouver une sensation douloureuse.
Les réactions des poissons face à la douleur
Une étude récente menée par l’Université de Liverpool remet en question certaines idées reçues sur la perception de la douleur chez les poissons. Après deux décennies d’expériences sur différentes espèces, les chercheurs ont observé des comportements laissant penser que ces animaux ont une réponse consciente à la souffrance. Voici quelques exemples :
Les poissons rouges face à une décharge électrique
Lors d’expériences, des poissons rouges ont reçu des décharges électriques dans leur espace d’alimentation. Leur réaction a été d’éviter la zone pendant plusieurs jours, en particulier lorsque l’intensité du choc était plus forte. En revanche, face à la faim, ils ont fini par revenir dans cette zone, malgré la douleur. Ce comportement, qui va au-delà d’un simple réflexe, suggère que ces poissons prennent une décision consciente basée sur une évaluation du risque et du bénéfice.
Les truites et l’injection de vinaigre ou de venin
En leur injectant du vinaigre ou des substances venimeuses, ces poissons manifestent des signes de malaise : agitation, tentatives de se frotter, arrêt de la nourriture. Leur réponse est comparable à la réaction humaine face à une douleur : ils cherchent à soulager leur inconfort. Pour les chercheurs, cela indique que la désir de calmer la douleur n’est pas propre à l’homme ou aux mammifères, mais également présent chez ces poissons.
La réaction des truites arc-en-ciel face à l’inconnu
Les truites arc-en-ciel, qui craignent l’inconnu (phénomène appelé néophobie), réagissent de manière visible à un nouvel objet dans leur environnement. Lorsqu’un objet étranger est introduit, elles montrent des signes d’anxiété et de prudence. Cependant, si elles ont été blessées, leur comportement change : elles seront moins prolatives face à l’objet, même en l’ignorant ou en le percutant, ce qui indique qu’elles concentrent leur attention sur leur douleur, au point d’oublier leur environnement. Cette capacité à focaliser leur attention sur leur souffrance suggère une conscience de leur état.
Les poissons-zèbres et l’effet des antalgiques
Une autre étude a examiné la réponse des poissons-zèbres face aux médicaments contre la douleur. Placés dans un aquarium divisé en deux parties, ils préfèrent initialement nager dans la zone avec des éléments décoratifs. Après injection d’acide, ils préfèrent la zone vide, mais lorsque leur était administré un antidouleur, ils s’y rendent, évitant la souffrance. Ainsi, leur comportement indique qu’ils cherchent à éviter la douleur à tout prix, quitte à renoncer à des aspects essentiels comme l’accès à la nourriture.
Quelles stratégies de défense contre la douleur ?
Les poissons possèdent deux mécanismes principaux pour protéger leur organisme face à un danger ou une agresssion. Voici comment ils se défendent :
La nociception
Ce processus, commun à tous les animaux, sert à alerter l’organisme en cas de danger. En réaction à un stimulus nuisible, des terminaisons nerveuses spécifiques envoient des messages au cerveau ou au système nerveux, déclenchant des réflexes ou des comportements de retrait. La recherche indique que le système nociceptif chez les poissons est très développé et similaire à celui des mammifères, leur permettant de percevoir efficacement la douleur et d’y répondre par des comportements d’évitement, comme s’enfuir ou se protéger.
Le rôle du pallium
Certains scientifiques contestent l’idée que les poissons ne peuvent pas souffrir, arguant qu’ils ne disposent pas de néocortex, la zone du cerveau chez les mammifères traitant la douleur. D’autres rappellent que chez les oiseaux, également dépourvus de cette structure, la capacité à ressentir la douleur est avérée. Les poissons ont un pallium, une structure cérébrale complexe liée à l’apprentissage et à la mémoire. Cela laisse penser qu’ils pourraient non seulement percevoir la douleur, mais aussi l’intégrer à leur expérience, en plus d’apprendre de leurs mauvaises expériences, comme l’évitement d’un lieu où ils ont été blessés.
Les implications de la perception de la douleur chez les poissons
La question de leur capacité à ressentir la douleur représente un enjeu éthique majeur. Il est plausible que ces animaux vivent également des émotions négatives telles que le stress ou la peur. Récemment, plusieurs associations, telles que Tendances et animaux, ont dénoncé les méthodes cruelles d’abattage et de capture utilisées chaque année pour environ 1000 milliards de poissons destinés à la consommation. Qu’il s’agisse d’être écrasés dans des filets, suspendus à des hameçons, ou disséqués vivants, ces pratiques soulèvent de graves questions morales et invitent à une réflexion approfondie sur notre rapport à ces êtres vivants sensibles à la souffrance.