Les fourmis légionnaires et magnam : des prédateurs hors pair

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Comparer le nombre précis de fourmis présentes sur notre planète relève de la véritable fascination, tant ces insectes affichent des chiffres qui impressionnent et qui peuvent dérouter. Ces créatures jouent un rôle crucial dans la biodiversité terrestre, étant présentes dans une multitude d’écosystèmes à travers le monde. Aujourd’hui, la science recense environ 15 000 espèces différentes, mais il se pourrait qu’autant restent encore à découvrir. Parmi celles-ci, les fourmis légionnaires attirent particulièrement l’attention. Leur nom évoque leur nature farouche et leur organisation en colonie dense. Mais qu’est-ce qui justifie cette appellation ? Leur apparence ? Leur mode de vie ? Et pourquoi sont-elles considérées comme si redoutables ? Plongeons dans l’univers de ces insectes fascinants, encore en partie mystérieux.

Une diversité étonnante chez les fourmis légionnaires

Le terme « fourmis légionnaires » ne désigne pas une seule espèce, mais regroupe un ensemble d’insectes répartis entre plusieurs genres. La connaissance scientifique de ces espèces est encore en pleine évolution, les recherches entomologiques révélant peu à peu la complexité de leur comportement. La majorité de ces fourmis demeure difficile d’accès, évoluant souvent sous terre ou en faibles quantités, ce qui limite nos observations.

Généralement, on associe ces insectes à des comportements de prédation spectaculaire. Lorsqu’elles attaquent en groupe, leurs essaims comptent un grand nombre d’ouvrières se déploient en colonnes mobiles et organisées. Cette dynamique a sans doute inspiré leur surnom, rappelant la discipline organisée des légions romaines. Cependant, la vie et la morphologie de ces fourmis varient considérablement :

  • Leur mode de nidification peut se faire dans le sol ou dans les arbres ;
  • Les tailles de colonies fluctuent de quelques dizaines à plusieurs millions d’individus ;
  • Les ouvrières possèdent des yeux bien développés ou, au contraire, peuvent être totalement aveugles ;
  • Leurs membres peuvent être fins et courts ou, à l’inverse, très longs ;
  • La surface de leur exosquelette peut présenter un aspect rugueux ou être parfaitement lisse et brillante, avec des couleurs allant de ton terne à des teintes plus vives.

Les reines de ces fourmis présentent également des particularités : certaines, dépourvues d’ailes, ont une silhouette pouvant atteindre 6 centimètres, leur abdomen se distendant énormément lors de la ponte. Leur capacité de reproduction est aussi impressionnante ; elles peuvent pondre jusqu’à plusieurs millions d’œufs en un seul mois, selon les espèces.

Les fourmis Dorylines : une branche spécialisée

C’est en 2016 qu’un grand réarrangement de la classification des Dorylines a été réalisé par l’entomologiste Marek Borowiec, consolidant leur statut de groupe monophylétique, c’est-à-dire d’un ensemble de fourmis issues d’un seul ancêtre commun. Ces insectes carnivores, surtout présents dans les régions tropicales et subtropicales, ont fasciné les scientifiques par leur organisation sociale et leur adaptabilité. Le genre Dorylus, englobant un peu plus de 60 espèces, est fréquemment qualifié de « fourmis magnans » en référence à leur voracité extrême, mais aussi de « fourmis conductrices » ou ‐ en swahili ‐ « siafu ».

Originaire d’Afrique centrale et orientale, cette famille de fourmis s’est également dispersée jusqu’en Asie. Leur mode de communication repose exclusivement sur des phéromones, puisqu’elles n’ont pas d’yeux fonctionnels. Leur comportement migratoire est marqué par des déplacements irréguliers vers de nouveaux sites, suivis de la formation de nouvelles colonies par fission, c’est-à-dire division de la colonie mère.

Les mandibules de ces fourmis sont remarquablement fortes, capables de mordre avec une telle puissance que leurs morsures peuvent faire mal à l’humain. Leur emploi dans certaines cultures humaines témoigne de leur utilité : en effet, leur mordure est utilisée comme sutures naturelles pour favoriser la cicatrisation de petites blessures. Après morsure, le corps de la fourmi est arraché, ne laissant qu’une tête qui sert à fermer la plaie.

Ce groupe carnivore peut s’attaquer à des proies de grande taille, comme des rats, des serpents ou même des crabes, grâce à leur nombre pouvant atteindre 20 millions d’individus. Lorsqu’elles se déplacent, ces fourmis forment d’impressionnantes colonnes pouvant s’étendre sur plusieurs dizaines de mètres. Elles construisent ce que l’on appelle des « bivouacs » : des assemblages de corps d’insectes, s’entassant pour protéger la reine et le couvain. Leur déplacement est accompagné de bruits caractéristiques, qui durent généralement de quelques heures à deux jours. Lorsqu’un obstacle aqueux se présente, certaines fourmis ou ouvrières de taille intermédiaire forment même des ponts vivants pour franchir l’obstacle.

Une autre famille notable chez les Dorylines est celle du genre Neivamyrmex, regroupant environ 120 espèces spécialement présentes aux États-Unis.

Autres exemples de fourmis légionnaires

Les fourmis du genre Labidus occupent principalement les régions du Sud de l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et une partie de l’Amérique du Sud. Elles vivent en majorité dans le sol, souvent dans des cavités ou des débris végétaux abandonnés, comme des vieilles chambres de fourmis coupeuses de feuilles Atta. Leur comportement de colonie reste discret, leur migration étant rarement observée. Certaines colonies peuvent atteindre un million d’individus. Ces fourmis organisent des raids coordonnés, ciblant des colonies de termites ou d’autres fourmis, mais elles ont aussi un régime alimentaire varié comprenant des fleurs, graines, fruits ou aliments humides comme du riz bouilli.

L’espèce Eciton burchellii est une des plus connues de cette famille. Elle présente également un mode de vie nomade, vivant en forêt tropicale d’Amérique centrale et du Sud. Les camps ou bivouacs peuvent atteindre un mètre de haut. Elles forment des colonies pouvant compter jusqu’à 500 000 individus. Leur organisation interne comprend trois types d’ouvrières : celles qui s’occupent des œufs et des larves, celles responsables de nourrir et de construire le bivouac — équipées de longues pattes pour mieux se déplacer — et enfin, des soldats avec une tête massive et des mandibules longues, finement recourbées, chargés de défendre la colonie.

Leur cycle de vie se décompose en deux phases principales : une période fixée d’environ 19 à 21 jours durant laquelle la colonie reste en place pour la ponte et la croissance du jeune ; puis une période de mouvement de 16 à 17 jours durant laquelle la colonie migre à une vitesse d’environ 20 mètres par heure. Pendant cette phase, la reine continue à pondre, et la demande en nourriture augmente fortement, nécessitant la recherche constante de nouvelles ressources. À la fin de cette phase, les larves deviennent des nymphes, et la colonie peut alors s’installer à nouveau dans un nouvel emplacement.

Ce rappel du monde étonnant des fourmis témoigne de leur incroyable diversité et de leur complexité sociale. La recherche continue à enrichir notre compréhension de ces petits insectes, qui restent encore largement mystérieux. Il est primordial de garder une attitude d’humilité face à la richesse de la nature et à l’étendue de nos connaissances, toujours incomplètes, de la vie animale, en particulier celle de ces minuscules mais si sophistiqués habitants de la Terre.

Crédit photo : Karmesinkoenig