Souvent assimilée à un poisson en raison de sa vie aquatique, la Lamproie est en réalité un organisme à part entière dont la silhouette inhabituelle laisse une impression durable. Découvrons ce qui la distingue vraiment de ses apparences inquiétantes.
Les traits caractéristiques de la Lamproie
Ce vertébré possède un corps fin et cylindrique, doté de deux nageoires dorsales ainsi qu’une petite nageoire caudale,-ce qui lui confère une silhouette anguille. Toutefois, une différence essentielle réside dans l’absence totale d’écailles recouvrant sa peau, qui est lisse et visqueuse, contrairement à l’anguille qui est couverte d’écailles. La Lamproie ne possède également pas de colonne vertébrale osseuse, mais une structure cartilagineuse qui lui permet de se déplacer en ondulant, ses nageoires assurant la stabilisation. Sur chaque côté de la tête, sept orifices, qui ne sont pas des branchies, servent à sa respiration. La caractéristique la plus remarquable est toutefois sa bouche ; dépourvue de mâchoires, elle comporte des ventouses permettant de s’accrocher aux autres organismes. Contrairement à l’anguille, qui a une mâchoire garnie de petites dents nombreuses, la Lamproie possède un anneau circulaire de cônes kératiniens, acérés, qui jouent le rôle de dents. Cette particularité permet de la reconnaître instantanément.
Appartenant à la catégorie des agnathes, c’est-à-dire sans mâchoires, la Lamproie partage cette caractéristique avec les myxines, un autre groupe de créatures qui leur ressemblent malgré quelques différences mineures.
Présence et diversité des Lamproies à travers le monde
En Europe, trois espèces de Lamproies sont couramment rencontrées. Au total, dans le monde, on recense aujourd’hui près de 80 types différents. La Lamproie marine, de son nom scientifique Petromyzon marinus, peut atteindre 120 cm pour un poids de 2,5 kg, avec une peau souvent jaunâtre marbrée de noir. La Lamproie de rivière, nommée Lampetra fluviatilis, est plus modeste, mesurant entre 20 et 50 cm, avec un poids variant de 30 à 150 g, et une peau brun-vert sans marbrure. En France, elle est aujourd’hui en danger d’extinction. Autrefois très répandue dans l’ensemble des fleuves européens, notamment dans le bassin méditerranéen, la mer Baltique, ainsi que dans la façade atlantique, la Lamproie de rivière était abondante dans le bassin de la Loire au XIXe siècle. Dans la région de la Gironde, elle était traditionnellement cuisinée en plat local : le poisson était saigné, découpé en morceaux, puis cuisiné avec des blancs de poireaux et une sauce au vin rouge, liée avec le sang de l’animal.
On trouve aussi une petite espèce, la Lamproie de Planer, qui ne dépasse pas 20 cm à l’état adulte. Son dos est bleuté ou verdâtre, ses flancs sont d’un blanc-jaunâtre, et son ventre est blanc. Contrairement aux autres, elle vit exclusivement en eaux douces, dans des zones où le courant est faible. Elle ressemble beaucoup à la Lamproie de rivière et partage avec elle la même aire de répartition.
Le cycle de vie et la reproduction de la Lamproie
Les lamproies se reproduisent uniquement en eaux douces. Bien qu’on les considère comme migratrices, seule la Lamproie de rivière effectue de longues migrations, alors que la Lamproie de Planer ne migre que sur quelques centaines de mètres. Elles construisent leurs nids dans des zones situées à plus de 50 cm de profondeur, en utilisant des galets, du sable, et des gravillons, formant des structures pouvant atteindre 2 mètres de diamètre. La fabrication de ces habitats, ainsi que la ponte, est une action collective où mâles et femelles collaborent. La période de ponte survient généralement au printemps ou au début de l’été, selon les espèces. La détection des sites de ponte se fait grâce à la détection de phéromones émises par les larves précédemment issues de pontes. Chez la Lamproie de rivière, une femelle peut pondre jusqu’à 120 000 œufs, alors que la marine en pond environ 260 000. Après cette étape, la majorité des individus ne survivent pas longtemps, car leur digestion s’atrophie rapidement. Leur intestin, atrophié, ne leur permet plus que de puiser dans leurs réserves graisseuses, ce qui limite leur durée de vie à quelques mois, voire quelques années. Seul un très petit pourcentage (environ 1 %) atteint l’âge adulte.
Le développement larvaire de la Lamproie
Les œufs éclosent généralement après 2 à 3 semaines, donnant naissance à des larves appelées “ammocètes”. Ces derniers vivent dans des zones peu profondes, souvent dans des lits de vase ou de limons fins, protégés par un tube ou une dépression naturelle. Pendant cette phase, ces larves se nourrissent de petits organismes, étant totalement aveugles mais capables de percevoir la lumière. Quand elles sortent de leur abri pour oxygéner leur organisme, elles deviennent facilement vulnérables aux prédateurs, comme les poissons ou les oiseaux, et suivent le courant vers de nouveaux habitats. Leur rôle de filtration améliore la qualité du substrat, ce qui profite à d’autres espèces, mais cela les expose également aux polluants de leur environnement.
Durant cette période, qui peut durer entre 2 et 7 ans, voire jusqu’à 17 ans dans certains cas, elles restent immobiles ou migrent lentement. La grande métamorphose intervient lorsque leurs yeux et leur disque oral denté apparaissent, marquant leur passage à une phase adulte.
Le régime alimentaire de la Lamproie adulte
Une fois leur maturité atteinte, seules les Lamproies de mer vivent en milieu marin. Leur bouche innove avec une structure en anneau denté, qui leur permet de s’agripper à la surface du corps d’un poisson par succion. Elles peuvent aussi se faire transporter passivement par des poissons plus gros lors de leur migration vers la mer. Lorsqu’elles se nourrissent activement, leur disque oral leur sert à gratter la peau de leur hôte pour ouvrir une plaie d’où elle aspire le sang ou la lymphe. Leur bouche, renforcée de dents, leur permet une fixation irréversible. L’anticoagulant qu’elles sécrètent évite la coagulation sanguine, ce qui leur permet de vider leurs victimes de leur sang de façon prolongée. C’est pour cette capacité qu’on leur donne le surnom de “poisson vampire”. Même si cette niche écologique peut sembler nuisible, cette activité parasite joue un rôle dans l’équilibre écologique en régulant probablement les populations de poissons en surnombre.
Les recherches sur la Lamproie
Ce creature mystérieuse a fait l’objet de multiples études scientifiques, notamment sur :
- Ses enzymes anticoagulantes,
- Son cerveau, qui présente des similitudes avec celui des mammifères et permet de mieux comprendre la neurobiologie. Depuis la fin du XIXe siècle, avec des travaux de Freud, ses fonctions neurologiques sont scrutées. Dans les années 1980, ses neurones furent étudiés comme modèle simplifié pour comprendre la communication neuronale, notamment dans la locomotion. Ces recherches laissent entrevoir des pistes prometteuses pour la médecine, notamment en ce qui concerne la réparation de lésions de la moelle épinière,
- Sa thyroïde,
- Et son sang, doté de six formes d’hémoglobine différentes, comme chez la Lamproie marine.
Crédit photo : Tiit Hunt