De notre enfance, il nous est souvent enseigné que l’eau et l’électricité ne font pas bon ménage. La mort tragique du chanteur Claude François en 1978, électrocuté accidentellement alors qu’il prenait un bain à l’âge de 39 ans, reste gravée dans les mémoires. Dès lors, il paraît inconcevable qu’un animal comme l’Anguille électrique existe. Pourtant, la nature a toujours su nous surprendre, et ce spécimen extraordinaire en est une preuve éclatante.
Découvrez l’Anguille électrique
Connue sous le nom scientifique Electrophorus electricus, cette créature appartient à la famille des Gymnotidae. Elle évolue exclusivement en eau douce d’Amérique du Sud, plus précisément dans le bassin de l’Amazone. Tous les membres de cette famille ont la capacité de générer des impulsions électriques, à l’instar des gymnotes et des poissons couteaux. Elle ressemble à nos anguilles européennes, mais ne partage pas la même famille, puisqu’elles appartiennent à l’Anguillidae. Son corps est long, ovale, avec peu de nageoires, si ce n’est une nageoire anale prolongée, ce qui lui permet de nager en ondulant. Sa teinte varie du marron vert en surface à un blanc-jaune ou orangé sur le dessous.
Cette créature impressionne par sa taille pouvant atteindre 2,5 mètres pour un poids pouvant dépasser 20 kilogrammes. Elle appartient au genre Electrophorus, qui regroupe également deux autres espèces : Electrophorus voltai et Electrophorus varii.
Le mode de vie de l’Anguille électrique
Dotée de branchies, cette espèce respire aussi en absorbant l’oxygène directement dans l’air grâce à une zone buccale richement vascularisée. Il n’est pas rare de voir cette anguille remonter à la surface pour respirer en dehors de l’eau. Cette capacité lui confère une certaine autonomie, lui permettant en partie de sortir du milieu aquatique pour passer d’un cours d’eau à un autre. Elle s’adapte aussi à des environnements pauvres en oxygène, comme les mares, les zones marécageuses ou des rivières à courant lent. Son corps fin et allongé lui facilite l’infiltration entre la végétation immergée.
Principalement nocturne, l’Anguille électrique se repose durant la journée. Son alimentation se compose de petits poissons, d’amphibiens, voire de petits mammifères.
Elle se reproduit lors de la saison sèche : le mâle construit un nid de mucus dans une berge, où la femelle dépose jusqu’à 17 000 œufs. Sur cette quantité, environ mille sortent de l’œuf. Après l’éclosion, les jeunes poissons restent un temps près de leurs parents pour apprendre à s’orienter dans leur environnement.
Comment l’Anguille électrique produit-elle de l’électricité ?
Comprendre cette capacité bioélectrique nécessite de s’intéresser à la biochimie animale. La particularité réside dans des fibres musculaires situées à l’arrière du corps, qui réagissent à une substance appelée acétylcholine. Ce neurotransmetteur, présent aussi chez l’humain, provoque la contraction musculaire et stimule différentes réactions hormonales. Chaque fois que vous bougez, c’est l’acétylcholine qui intervient dans vos muscles.
Chez l’Anguille électrique, ces fibres musculaires contiennent des cellules spécialisées, appelées électrocytes. Stimuler par l’acétylcholine, ces cellules déplacent des ions de part et d’autre de leur membrane, ce qui génère un courant électrique semblable à celui d’une pile. La tension produite dans chaque électrocyte est faible, environ 0,15 volt, mais leur organisation en série permet d’augmenter considérablement la tension totale. Selon sa taille, cet animal peut ainsi libérer des décharges dépassant les 700 volts et 2 ampères, une puissance record.
Une telle décharge suffit à désorienter ou à blesser gravement un grand mammifère, affectant ses fonctions vitales telles que le cœur ou la respiration. Bien que rare, un contact avec une Anguille électrique peut entraîner la mort. La créature se protège contre ses propres décharges grâce à une peau épaisse et isolante. Après sa mort, ses organes peuvent même continuer à produire de l’électricité pendant plusieurs heures, jusqu’à huit.
Pourquoi l’Anguille électrique émet-elle de l’électricité ?
Le développement des sens chez les animaux est souvent lié à leur habitat. Évoluant dans des eaux souvent troubles, la vision ne leur est pas toujours essentielle. L’Anguille électrique possède une vision assez limitée, mais compense cette faiblesse par sa capacité électrique.
Pour repérer ses proies ou détecter les obstacles, elle utilise son champ électrique. Des petits orifices situés sur ses côtés, notamment sous la gorge, agissent comme des capteurs électriques, captant les légers champs émis par d’autres êtres vivants. La créature peut également émettre un faible champ électrique, lui servant de système de radar pour analyser l’environnement environnant, tels que branches ou racines immergées.
En outre, cette capacité électrique joue un rôle crucial pour la chasse : le choc électrique qu’elle envoie paralyse ou tue ses proies, facilitant leur ingestion. Elle s’en sert aussi comme mécanisme de défense, étant capable d’attaquer des grands prédateurs comme un caïman. Consciente de ses capacités, cette anguille possède peu de prédateurs dans la nature.
Son apport aux sciences et à la technologie
Depuis le XVIIIe siècle, l’étude de l’électricité animale a captivé les scientifiques. C’est en étudiant ce poisson que le physicien Alessandro Volta, à l’origine de la première pile électrique, s’est inspiré de ses mécanismes. Lors d’expéditions en Amérique du Sud dans les années 1800, Alexander von Humboldt a observé que l’Anguille électrique pouvait tuer un cheval.
Ce spécimen a permis de mieux comprendre la fonction de l’électricité dans le corps humain. Plus récemment, en 2017, une équipe de chercheurs a réussi à créer un prototype d’énergie bio-compatible, alimenté par un principe inspiré de cet animal, pouvant potentiellement faire fonctionner des dispositifs médicaux comme les pacemakers.
Ce poisson n’est cependant pas adapté à la vie en aquarium : il a besoin de beaucoup d’espace pour évoluer. Seuls certains aquariums professionnels, comme celui de la Cité des sciences, ou ceux du zoo d’Amnéville ou d’Anvers, en Belgique, disposent des installations nécessaires pour le maintenir.
Crédit photo : Stan Shebs