Quête de sens autour de l’expression « être nu comme un ver »

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L’expression « être nu comme un ver » fait partie des locutions figurées les plus évocatrices, dont la signification est d’une simplicité évidente : elle évoque un état d’absence totale de vêtement, avec une comparaison implicite à la simplicité ou à la vulnérabilité de l’animal. Bien que la ressemblance entre la nudité humaine et l’aspect du ver de terre semble logique à première vue, il est pertinent d’en interroger la précision. Dans cet exposé, nous allons explorer l’origine de cette expression, sa première apparition dans l’histoire et l’évolution de sa signification au fil du temps. Pour cela, il faut remonter au Moyen Âge.

Que veut dire l’expression “être comme un ver” ?

Cette formule est une tournure descriptive qui désigne un état d’être totalement dépouillé, sans aucun vêtement, en un mot : nu. On retrouve une expression équivalente en italien, « nudo come un verme ». Selon le contexte, cette locution peut aussi évoquer une idée de dénuement total ou d’extême pauvreté. Parmi d’autres expressions proches, on peut citer « en costume d’Adam » ou « en tenue d’Eve ». Voici quelques illustrations illustrant l’usage de cette formule :

  • « Nu comme un ver, je me lance dans la mêlée. Je nage à bout de bras, ma main gauche tenant la ligne pour remorquer la barque. » (Constantin Paoutovski, La mer noire, 1935) ;
  • « La jeune fille n’a plus rien à mettre. Pas même un pyjama ou une chemise de nuit. Elle est complètement dévêtue, comme un ver. » (Rénée Delpêche, Mémoires d’un contrôleur des wagons-lits, 1949) ;
  • « Dans sa main, sa robe en lin, Aielle observait Rand d’un regard fixe. Alors qu’il venait de prendre le temps de se raser, en prévision de l’habiller, elle, à l’exception de ses bas blancs, était entièrement nue, comme un ver. » (Robert Jordan, Les Feux du ciel, 1993) ;
  • « Les clients sortaient de l’endroit, nus comme des vers, leurs tailles enveloppées d’une serviette. » (Jean-Marc Dubois, La sève du mal, 2012) ;
  • « J’ai aperçu la photo… Tu avais l’air de faire du strip-tease. Je ne fais pas le strip ! s’écria Mara. Pourtant, elle était nue comme un ver, et devant tout le monde. » (Melissa de la Cruz, Un été pour changer tout, 2013) .

Pourquoi emploie-t-on l’expression “être comme un ver” ?

Lors de nos jeux en plein air durant l’enfance, nous avons tous croisé des vers de terre et savons à quoi ils ressemblent : des petits animaux allongés, cylindriques, dépourvus de membres, dotés d’un corps souple et segmenté. La particularité de cette créature terrestre réside dans sa peau, constamment lubrifiée par un mucus, lui conférant une surface humide et glissante. Son derme, perméable à l’oxygène et au dioxyde de carbone, lui permet de respirer à travers cette fine couche superficielle. Cette apparence, peu attrayante, a été à l’origine de l’expression « être nu comme un ver » : l’image d’un être humain sans vêtement évoque donc l’absence de couche de protection ou de vêtement. Même dans la littérature, cette idée est illustrée : « En un clin d’œil, le maillot et la tenue sont enlevés. Bruno, nu comme le ver de terre, se laisse aller dans l’eau. » écrivait Paul Duval-Arnould en 1916 dans son récit Crapouillots.

Quelle est l’origine chronologique de cette expression ?

Les premières traces de cette locution remontent au Moyen Âge, plus précisément au XIIIe siècle. Elle apparaît dans le poème « Le Roman de la Rose » sous la forme : « Ele estoit nue come vers », dans la partie initiale rédigée par Guillaume de Loris entre 1230 et 1235, la seconde partie étant complétée par Jean de Meung au siècle suivant. La forme moderne, telle que nous la connaissons, apparaît pour la première fois dans l’ouvrage bilingue de Randle Cotgrave en 1611, où il traduit « nud comme un ver » par une expression anglaise : « bare as a birds arse » (nu comme un cul d’oiseau). Le dictionnaire de Furetière de 1690 intègre la formule « nud comme un ver » dans ses définitions. Ce n’est qu’en 1835 que l’expression est officiellement inscrite dans le dictionnaire de l’Académie française, qui la définit alors comme « Être entièrement nu ». On remarque que la première version était souvent employée au pluriel, comme dans : « Tout à l’heure, nous serons nus comme des vers. » Bien que moins courante aujourd’hui, cette forme reste encore employée, à en juger par plusieurs citations :

  • « Tout à l’heure, nous serons nus comme des vers. » (Jean-Paul Sartre, Huis Clos, 1987) ;
  • « Nues comme des vers, les femmes cueillaient leurs prunes gorgées de jus » (Pascal Martin, L’Ogre des Landes, 2009) ;
  • « Dans l’escalier, nus comme des vers, une course effrénée démarre. » (Vincent Martorrel, La belle endormie, 2010).

Le ver peut-il vraiment être nu ?

De par sa morphologie, le ver, ou lombric, possède une peau nue, sans véritable pelage ou exo-squelette. Cependant, il porte sur chaque segment de nombreux petits poils ou soies. Chez les espèces vivant dans des climats tempérés, chaque anneau est doté de quatre paires de petites soies ventrales, tandis que dans d’autres, elles sont réparties tout autour du corps. La zone buccale et la région anale n’ont pas de poils. Bien que la peau du ver soit dépourvue de poil ou de pelage, elle est couverte d’un mucus qui offre une protection contre l’environnement et facilite la mobilité grâce à de minuscules follicules. Ainsi, l’expression « être nu comme un ver » s’éloigne quelque peu de la réalité biologique précise du lombric, mais demeure une image efficace pour décrire un homme ou une femme entièrement dépouillé. Une expression plus fidèle pourrait être « à poil comme un ver » !