Chacun connaît la notion de “chimère” pour évoquer une illusion inaccessible, ainsi que l’adjectif “chimérique” pour qualifier une idée irréaliste ou utopique. Pourtant, ces termes puisent leur origine dans une figure emblématique de la mythologie grecque : la chimère, un monstre composite formé de trois animaux distincts : un lion, une chèvre et un serpent. Qui a donné naissance à cette créature hybride ? Quelles transformations a-t-elle subies ? Pourquoi la considérait-on comme une menace ? Quel héros l’a vaincue et par quelle ruse ? Explorons le récit spectaculaire d’une petite bestiole à tête de lionceau qui s’est muée en un monstre cracheur de feu et terrifiant.
Caractéristiques et description de la chimère
Homère, poète antique de la fin du VIIIe siècle avant J.-C., est le premier à avoir évoqué la chimère dans ses œuvres. Dans l’Iliade, une de ses deux œuvres majeures (avec l’Odyssée), il décrit une créature moitié lion, moitié serpent, avec une tête de chèvre au centre, capable de projeter des flammes, et qui serait liée au roi Amisodarès. Par la suite, divers auteurs ont apporté leur vision du mythe, mais la version homérique reste la référence. Le nom « chimère » est ainsi devenu synonyme de bestioles fantastiques aux aspects multiples, illustrant aussi des idées de rêves impossibles, de fantasmes irréalisables, ou d’utopie.
Origines et genèse de la chimère
Cette créature mythique serait issue de la union de deux divinités : Typhon, soupçonné d’être une tempête déchaînée mêlant vents et pluies, et Echidna, une femme-serpent dont le ventre annonçait la naissance imminente d’un être fabuleux. Dans le récit d’Homère, Typhon est dépeint comme une force de la nature, enveloppé de vents violents et de précipitations diluviennes, tandis qu’Echidna apparaît comme une déesse-serpent dont la présence évoque la puissance sauvage. Lorsqu’au terme d’une tempête, la créature mystérieuse émergée du chaos apparaît, il s’agit de la chimère, née de cette union divine tumultueuse.
La domestication de la chimère
Au cœur de la région antique de la Lycie, située dans l’Asie Mineure (actuelle Turquie), un roi nommé Amisodarès croise le chemin d’un petit animal au look de lionceau. Épuisé, il partage une portion de nourriture avec lui, qui l’assimile aussitôt. Reconnaissant, le roi adopte cette mystérieuse créature, qu’il ramène dans son royaume pour en faire son compagnon. Au fil des années, l’animal, en grandissant, se transforme et s’éloigne de l’aspect initial d’un lionceau, devenant un être à l’apparence de plus en plus fantastique.
Transformation et évolution de la chimère
Ce qui échappait à l’origine, c’était que ses parentés divines lui avaient conféré des qualités redoutables : une force sauvage, une soif de sang, et le don de cracheur de feu. Progressivement, ces caractéristiques se révèlent : sa queue se couvre d’écailles, un serpent apparaît à son extrémité, une tête de chèvre s’épanouit sur son dos, et sa partie supérieure ressemble à celle d’un lion. Certains interprètes y voient la métaphore des torrents capricieux comme la chèvre, destructeurs comme le lion, ou sinueux comme le serpent. Ces traits font d’elle une force presque impossible à arrêter, seul un esprit habile pouvant la tromper. D’autres théories y perçoivent une symbolique représentant les trois âges de la vie d’une femme : l’enfance (le lion), l’âge mûr (la chèvre) et la vieillesse (le serpent). Ces trois animaux évoqueraient aussi les trois saisons : printemps (lion), été (chèvre) et hiver (serpent).
La destruction de la lycie par la chimère
Au fil du temps, cette créature hybride s’est muée en une menace impitoyable dotée d’une force invincible, capable de cracher des flammes et d’avoir une peau insensible aux projectiles. Son invasivité grandissante la rendait incontrôlable ; elle incendiait villages et dévorait leurs habitants. Amisodarès, bien qu’attaché à la créature, craignait que sa présence ne porte préjudice à sa population, et décida de la ramener dans les montagnes où il l’avait trouvée. Les soldats envoyés pour la combattre par le roi de Lycie échouaient ou se débandèrent face à cette bête redoutable. En dernier recours, il confia la mission à Bellérophon, en lui interdisant de revenir sans avoir tué la chimère, au risque de sa vie.
La chute de la chimère
Héros légendaire de la mythologie grecque, Bellérophon, roi de Corinthe, devait parvenir à capturer Pégase, le cheval ailé, seul capable d’échapper à la chaleur et aux flammes du monstre. La nuit, la déesse Athéna lui apparut en rêve, lui soufflant une astuce : lui confier la bride, capable de maîtriser Pégase. Grâce à cet objet précieux, il attira le cheval ailé et le mit en selle. Ensemble, ils partirent affronter la chimère. Bellérophon plaça sur ses flèches du plomb : à l’impact, le métal fondit au contact du feu, empêchant la réaction de projeter le feu, et permettant de terrasser la bête définitivement.
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