Comprendre l’expression ‘bouc émissaire’ et son lien avec la chèvre mâle

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La figure du bouc émissaire désigne une personne à qui l’on impute une faute qu’elle n’a pas réellement commise. Mais qu’est-ce qui explique l’origine de cette expression ? A-t-elle toujours eu cette signification ? Et pourquoi faire référence à un mâle de la chèvre ? Voici quelques éclaircissements.

Que veut dire l’expression “être un bouc émissaire” ?

Le terme “bouc émissaire” combine deux éléments : “bouc”, désignant le mâle de la chèvre, et “émissaire”, qui désigne une personne envoyée pour transmettre un message ou accomplir une mission. Selon les contextes, cette expression désigne une personne qui supporte l’intégralité des fautes ou des responsabilités liées à une situation difficile, souvent de manière injuste. Autrement dit, c’est celui qui paie pour les erreurs des autres. Des expressions équivalentes incluent “tête de Turc” ou “souffre-douleur”. Par exemple, dans sa série de romans *Saga Malaussène*, Daniel Pennac décrit un personnage qui se voit comme un “bouc émissaire-né”, occupant une position où il doit toujours absorber la blame, que ce soit dans le service après-vente d’un grand magasin parisien ou dans une maison d’édition chargé de rejeter des manuscrits.

Pourquoi l’expression “bouc émissaire” ?

L’origine de cette expression remonte à une tradition religieuse ancienne, apparaissant pour la première fois dans la Vulgate, la version latine de la Bible. Le terme latin “caper emissarius”, littéralement “bouc envoyé”, faisait référence à un rituel sacrificiel décrit dans le Lévitique. Ce rituel, pratiqué au Ier ou VIe siècle avant J.-C., consistait à sacrifier un animal, symboliquement chargé des péchés de la communauté, que l’on offrait à Dieu, tandis qu’un autre était mené dans le désert pour y mourir, symbolisant l’éloignement du mal. Lors de cette cérémonie, le grand prêtre posait ses mains sur le caprin pour le charger symboliquement de toutes les fautes du peuple d’Israël. Le bouc, en tant qu’émissaire, représentait donc cette charge expiatoire collective. Ce rite a marqué le Yom Kippour, la fête du Grand Pardon dans la tradition juive.

Pourquoi avoir choisi un animal comme le bouc, et pas un autre ?

Le choix du bouc dans ces rituels n’était pas anodin ; en effet, cet animal était souvent associé à la tentation, aux péchés et à la luxure. Il symbolisait l’instinct de reproduction et d’impureté. Dans la mythologie grecque, l’entité mi-homme, mi-bouc, représentant Pan, la divinité de la nature, était aussi liée à l’idée de péché, étant considéré comme une créature liée à la débauche et aux satyres de Dionysos. Au Moyen Âge, cette symbolique s’est renforcée dans la théologie chrétienne, y assimilant souvent le bouc au démon ou à l’incarnation du mal, principalement à cause de son odeur nauséabonde, perçue comme signe de sa nature démoniaque. La représentation du bouc évoquant la pulsion sexuelle et l’énergie virile contribuait à cette perception diabolique.

Depuis quand l’expression “être un bouc émissaire” est-elle utilisée ?

La première apparition connue de cette expression dans sa forme moderne date de 1690, dans le dictionnaire de Furetière, où son lien avec les textes bibliques est souligné. Au XVIIIe siècle, cette tournure s’est répandue pour désigner une personne sur laquelle on rejette la faute ou la responsabilité de malheurs. Des écrivains comme Saint-Simon, à la fin du XVIIe siècle, évoquaient déjà cette idée : “Vous sentez que je veux faire de Mme d’Argenton le bouc émissaire de l’ancienne loi”, ou encore “le bouc émissaire qui expiait les fautes du chancelier.”

Qu’est-ce que la théorie du bouc émissaire ?

En sociologie, cette expression a été théorisée par l’anthropologue René Girard, qui s’est penché sur le rôle du rituel expiatoire dans les sociétés humaines. La « théorie du bouc émissaire » explique qu’un individu ou un groupe est désigné pour porter la responsabilité d’un problème collectif, souvent à leur insu ou sans culpabilité réelle. Ce mécanisme facilite la régulation sociale : en désignant un coupable, une société peut apaiser ses tensions, restaurer l’ordre et justifier ses comportements, en se détournant de ses propres erreurs. Ainsi, le “bouc émissaire” devient une victime sacrificielle, permettant une forme de réconciliation collective, même si cette sélection est parfois arbitraire ou inconsciente.