Les environnements situés dans les profondeurs marines sont souvent perçus comme extrêmement hostiles. La lumière et la chaleur y sont quasi absentes, et en raison de leur exploration limitée, ces zones laissent place à de nombreux mystères. Pourtant, dès le XIXe siècle, l’humanité s’est lancée dans l’exploration de ces abysses et a fait des découvertes étonnantes, notamment la présence de formes de vie. Des créatures aquatiques, adaptées à ces conditions extrêmes, occupent ces eaux obscures et glaciales. Mais en quoi leur survie est-elle possible ? Quelles sont leurs sources de nourriture ? Approfondissons ces questions.
Découvrir les caractéristiques des poissons des grands fonds
La profondeur atteignant parfois plus de 3 800 mètres sous la surface, les zones abyssales représentent environ neuf dixièmes des eaux du globe. Ces vastes étendues inexplorées alimentent de nombreuses légendes, étant donné qu’elles constituent le plus grand habitat naturel de la biosphère terrestre. L’exploration humaine y a été limitée à cause des conditions de vie difficiles.
En s’aventurant dans ces profondeurs, l’homme a rencontré des formes de vie extraordinaires, qui évoquent souvent des créatures imaginaires ou de science-fiction. Leur apparence peut être déroutante, avec des corps mous, des bouches disproportionnées, et de grands yeux leur permettant de s’orienter dans l’obscurité totale.
La plupart de ces habitants, en général, restent de petite taille, ne dépassant pas une dizaine de centimètres. Cependant, quelques individus, comme le cœlacanthe, peuvent atteindre près de 1,80 m. Ce poisson fossile, longtemps considéré comme éteint, a été redécouvert et est capable de vivre jusqu’à un siècle.
L’exploration des abysses étant complexe, la majorité des connaissances à leur sujet repose sur des déductions anatomiques. À ce jour, plus de 2 000 espèces ont été recensées dans ces profondeurs, réparties principalement en deux catégories :
- les poissons vivant près du fond, appelés poissons benthiques ;
- ceux qui évoluent en pleine eau, appelés poissons pélagiques.
En raison de l’absence de lumière et de la température froide, ces poissons présentent un métabolisme plus lent comparé à leurs homologues de surface, avec une croissance très modérée. Leur reproduction est également plus lente, ce qui rend la surpêche potentiellement destructive. C’est pourquoi, depuis 2016, la pêche en eaux profondes au-delà de 800 mètres est strictement interdite dans les eaux de l’Union européenne.
Et saviez-vous que certains des poissons des abysses finissent dans notre assiette ? La raréfaction des ressources en surface incite les pêcheurs à descendre plus profondément, ce qui menace ces espèces à métabolisme lent, ainsi que l’écosystème marin dans son ensemble.
Qui sont réellement les poissons abyssaux ?
La connaissance de ces habitants des profondeurs s’est enrichie au fil du temps, souvent de manière indirecte. En réalité, depuis longtemps, les scientifiques capturaient ces poissons sans en avoir conscience. C’est le cas par exemple de la hache d’argent diaphane, qui évolue entre 400 et 3 676 mètres de profondeur, et dont la première description remonte à 1781.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les informations restaient limitées. Entre 1872 et 1876, une expédition scientifique a balayant le fond marin, permettant de découvrir environ 4 000 nouvelles espèces, parmi lesquelles une centaine de poissons. Cependant, la vie en surface est très différente, et la décompression ou les changements thermiques empêchent la survie de ces animaux hors de leur environnement naturel, voire en captivité. Cela explique la faible connaissance que nous avons encore aujourd’hui.
Parmi les espèces les plus connues, on retrouve :
- la baudroie ou poisson-lanterne (Oneirodes eschrichtii) ;
- le poisson-vipère de Sloane (Chauliodus sloani) ;
- la hache d’argent diaphane ;
- la donzelle (Typhlonus nasus) ;
- le poisson-fouet ;
- le Sladenia Shaefersi ;
- le grandgousier-pélican ;
- le requin lanterne (Etmopteridae) ;
- le requin-lutin (Mitsukurina owstoni) ;
- le calamar géant (Architeuthis dux) ;
et d’autres encore.
Quelle alimentation pour les poissons abyssaux ?
Sans lumière naturelle et dans des eaux dont la température oscille généralement entre 2 et 6 °C, la croissance du phytoplancton est quasi inexistante. Alors, que mangent ces créatures des grands fonds ? La première hypothèse est qu’ils se nourrissent mutuellement ou en s’auto-consomment, comme on le voit souvent dans d’autres zones océaniques. Leur alimentation comprend également des zooplanctons et des micro-organismes.
D’autre part, ils se nourrissent fréquemment de débris dérivant de la surface, tels que des excréments ou des carcasses. Par exemple, lorsqu’un cadavre de grande taille comme une baleine dérive dans ces profondeurs, il sert de ressource alimentaire pour une multitude d’espèces charognardes. Les restes, qu’il s’agisse de la peau, de la graisse ou des os, sont dévorés par des anguilles, des crustacés, des vers, et des mollusques qui colonisent rapidement la carcasse. Un seul gros corps peut nourrir toute une communauté pendant plusieurs années.
Certains poissons ont aussi la capacité de remonter modestement vers les couches plus supérieures de l’océan pour se nourrir, mais ces déplacements sont rares en raison des conditions extrêmes et de la forte pression à ces profondeurs.
Et si l’on ne trouve ni cadavres ni zooplancton ?
Lorsque les ressources organiques sont rares ou dispersées, ces poissons doivent parcourir de longues distances pour trouver leur nourriture. Leur morphologie leur permet de relever ces défis, avec notamment de grandes dents pour déchiqueter ou briser les coquilles. Le poisson-ogre, par exemple, possède des mandibules exceptionnellement volumineuses en proportion de sa taille. Certains spécimens, comme le grandgousier-pélican, ont une grande bouche sans dents, capable d’avaler de très grosses proies. La capacité d’agrandir leur estomac ou leur œsophage leur permet d’ingérer de la nourriture en plusieurs fois. Beaucoup de poissons abyssaux peuvent allonger leur corps pour avaler de grandes proies, tout en utilisant des organes lumineux comme la baudroie pour attirer des petits poissons ou mollusques, grâce à leur photophore.
La rareté de la nourriture implique que ces poissons peuvent passer de longues périodes sans manger, établissant une stratégie d’adaptation. Il semblerait que certains, notamment les poissons-lézards et les grenadiers, puissent survivre jusqu’à 6 mois voire plus en jeûne complet. Leur foie joue un rôle crucial dans le stockage d’énergie, permettant à ces organismes à métabolisme lent de supporter des périodes de pénurie alimentaire. Leur métabolisme étant naturellement ralenti, leur consommation de nutriments est également beaucoup moins rapide que chez d’autres espèces, leur conférant une étonnante capacité d’endurance face aux conditions extrêmes.