La silhouette serpentine de l’anguille, à la fois mystérieuse et repoussante, suscite fascination et crainte selon les perceptions. Dans cet exposé, nous vous invitons à explorer le cycle de vie de cet être aquatique complexe, dont la stratégie de survie s’est élaborée au fil de millions d’années. Sa façon de vivre se déploie en différentes étapes précises, témoins d’une adaptation remarquable à son environnement. Suivons ensemble le parcours de ce poisson depuis ses premiers instants jusqu’à la maturité, tout en abordant les menaces actuelles et les initiatives de conservation mises en place pour préserver cette espèce exceptionnelle.
Anguille : de quoi parle-t-on ?
Avant de détailler son cycle de vie, il est essentiel de préciser de quelle créature il s’agit. Bien que le mot « anguille » désigne une famille de poissons élancés, caractérisés notamment par l’absence de nageoires pelviennes, il existe plusieurs variétés, comme l’anguille des grandes profondeurs, l’anguille électrique ou encore l’anguille épineuse.
En France, la forme la plus répandue est l’anguille d’Europe, aussi appelée anguille commune (Anguilla Anguilla). C’est sur cette espèce que porte notre attention ici.
L’anguille commune : une espèce à cycle diadromique
Chez les poissons, certains adoptent un mode de vie dit diadromique ou amphibiotique, combinant vie en eaux douces et en milieu marin. Ces poissons alternent entre ces deux environnements au cours de leur existence. En français, on distingue notamment trois types principaux de ces migrateurs :
Les anadromes naissent en rivière, migrent vers la mer pour leur période de croissance, puis retournent en eaux douces pour se reproduire, à l’image du saumon. Les poissons catadromes, comme l’anguille d’Europe, naissent en mer, migrent vers les eaux douces pour leur développement, puis rejoignent l’océan pour leur reproduction. Enfin, les amphidromes se déplacent indifféremment entre mer et eaux douces, en fonction de leurs besoins vitaux, sans que ces migrations aient un lien direct avec la reproduction.
Les premiers touts de la vie de l’anguille d’Europe
À l’émergence, la larve d’anguille n’a rien en commun avec le poisson mature que l’on connaît. Elle apparaît sous forme de leptocéphale, un petit ruban translucide d’environ 5 millimètres, avec une tête aplatie et une morphologie très différente de la silhouette cylindrique de l’anguille adulte. Sa forme plane lui permet de traverser l’Atlantique Nord à la dérive, porté par le Gulf Stream. Ce voyage, qui peut durer jusqu’à deux ans, lui permet de parcourir des milliers de kilomètres en se nourrissant de plancton rencontré en route.
Deuxième étape : la civelle
À l’approche de la côte, la larve évolue en prenant une forme de petite anguille translucide, une civelle ou pibale. Sa taille a été multipliée par une dizaine, atteignant plusieurs centimètres, selon sa croissance depuis la larve. Ce bref stade, qui ne dure que quelques semaines ou mois, est crucial car la civelle ne mange pas, mais sa capacité d’alimentation et d’activité reste limitée. Elle se concentre dans des zones précises pour amorcer son passage vers l’eau douce lors de la phase de montaison, indispensable pour sa croissance ultérieure. Aujourd’hui, cette migration est en déclin, notamment dans le bassin de la Loire, où les captures ont fortement diminué depuis la fin du XXe siècle, mais la tendance semble s’être stabilisée récemment, sous l’attention constante des chercheurs. La Bretagne partage également cette dynamique, avec des pics migratoires propres à chaque région.
Phase de croissance : la métamorphose
Quand la température atteint environ 11-12°C, la civelle amorce sa phase de croissance en se pigmentant et en augmentant ses réserves de graisse. Son corps se densifie, ses yeux grossissent, lui offrant une meilleure vision en mer profonde. Sa coloration dorsale devient plus foncée, facilitant sa dissimulation dans l’environnement marin. La différenciation sexuelle commence durant cette étape, aboutissant à la formation d’organes reproducteurs chez la maturité. Cette étape peut durer jusqu’à deux décennies, durant lesquelles l’anguille peut atteindre une trentaine de centimètres.
Retour en mer : le voyage nocturne
Une fois mature, l’anguille de couleur argentée amorce sa migration vers la mer, généralement lors des épisodes pluvieux favorisant son retour vers le large. Sur un parcours pouvant atteindre 6 000 kilomètres à travers l’Atlantique, elle rejoint la zone de reproduction située en mer des Sargasses, au sud-est de la Floride. Ce périple, de quatre à six mois, s’effectue grâce à ses réserves de graisse, qui peuvent représenter jusqu’à 20 % de son poids total, puisque durant cette étape, elle ne se nourrit pas. La maturité sexuelle est atteinte en milieu marin, dans des zones encore mal observées, mais où la reproduction aurait lieu entre mars et juillet, à des profondeurs importantes.
La nécessité de protéger l’anguille commune
La migration est une phase essentielle de la vie de l’anguille, mais de nombreuses activités humaines entravent ce processus naturel. La construction de barrages et d’écluses peut bloquer ou limiter la capacité des poissons à naviguer entre leur habitat en eau douce et leur site de reproduction en mer. Si certains ouvrages possèdent des dispositifs pour faciliter la passage, leur efficacité reste variable. La pollution des eaux, la surpêche lors des migrations et d’autres perturbations anthropiques aggravent la vulnérabilité de cette espèce. Pour préserver leur avenir, il est crucial de respecter les réglementations en vigueur et d’améliorer les infrastructures afin de garantir la libres circulation des anguilles. La recherche continue d’approfondir notre compréhension de leurs comportements migratoires, pour mettre en place des stratégies concrètes de sauvegarde.