La baudroie commune est souvent surnommée « diable de mer » en raison de son apparence peu esthétique. Son visage massive, bordé de dents pointues, la classe parmi les prédateurs marins, mais elle conserve une attitude assez nonchalante. Elle se dissimule dans le fond marin, où elle reste immobile, patientant en attendant que des proies s’approchent de son filament mobile, qu’elle attire et à laquelle elle aspire en grande bouche. Focus sur ce poisson pêché par les pêcheurs.
Différences entre la lotte des mers et la lotte de rivière
Originaire des eaux salées, la baudroie appartient à la famille des Lophiidés. Son nom scientifique, Lophius piscatorius, dérive du grec lophos, évoquant la crête dorsale épineuse, et du latin piscatorius, qui signifie « pêcheur ». Bien qu’elle soit souvent appelée lotte, cette espèce vit sur le fond marin et ne doit pas être confondue avec la lotte des rivières, issue des Gadidés (comme le merlu). Cette dernière peut aussi être désignée sous le nom de lote avec un seul « t ». La baudroie porte également d’autres appellations, telles que baudroie blanche, lotte blanche, diable de mer, boultous, marache, marimorgan, crapaud-pêcheur ou saillot. Selon la tradition, certains pêcheurs, attrapant un poisson à tête de crapaud, refusaient de le garder à bord pour des raisons d’esthétique.
Une dentition tranchante et impressionnante
Son corps est aplati vers la zone de la tête, devenant presque cylindrique à l’arrière. Ses branchies s’étendent sous et derrière ses nageoires pectorales. Sa peau est lisse, légèrement visqueuse, dépourvue d’écailles, et arbore des nuances brunes ou vertes avec des marbrures sombres. La tête, disproportionnée par rapport au reste du corps (représentant près de 60 % de son poids), accueille une bouche très large et une rangée de dents recourbées vers l’arrière, conçues pour empêcher la fuite de ses victimes. Malgré ces dents pointues, la mâchoire faibles ne sert pas à broyer. La taille de cette espèce varie généralement entre 70 cm et 1 mètre, avec un poids pouvant atteindre 40 à 50 kg chez les individus les plus gros.
Le leurre unique de la lotte des mers
Les nageoires pectorales longues et larges permettent à cette espèce de se déplacer dans les fonds sableux ou vaseux, où elle aime s’enterrer. Cependant, ses performances en nage ne sont pas exceptionnelles, puisqu’elle ne se débrouille pas très bien dans l’eau, se déplaçant peu. La nageoire dorsale, équipée de six rayons épineux, comprend notamment un rayon très en avant, positionné devant ses yeux. Ce premier rayon, une épine mobile, porte à son extrémité un lambeau de peau ressemblant à un ver, et constitue le filament pêcheur, un appendice luminescent qui sert d’appât pour attirer ses proies. Son nom latin, illicium, signifie « amorcer ».
Une présence abondante le long des côtes françaises
La baudroie vit principalement dans l’est de l’Atlantique, allant du sud-ouest de la mer de Barents jusqu’au détroit de Gibraltar, dans la mer Méditerranée ainsi que la mer Noire, jusque dans l’ouest africain. Elle fréquente notamment les eaux situées du sud de l’Islande à la Mauritanie, en passant par la Norvège du Nord, les îles Britanniques et les côtes françaises (Bretagne, golfe de Gascogne…). La France est le premier pays européen en captures de baudroies, représentant plus de la moitié des prises. Ce poisson benthique évolue sur des fonds meubles, sablonneux ou vaseux, entre 20 et 1 000 mètres de profondeur.
Une technique de chasse basée sur le leurre
En tant que carnivore strict, la baudroie se nourrit principalement de petits poissons comme le tacaud, le merlan bleu, le chinchard ou la morue, mais aussi occasionnellement de mollusques et crustacés. Préférant piéger ses proies plutôt que de chasser activement, elle utilise son filament lumineux au-dessus de sa bouche pour attirer ses victimes. Lorsqu’une proie s’approche, elle l’aspire rapidement dans sa grande gueule. Les dents recourbées empêchent toute échappée. Parfois, de gros animaux tels que mouettes, goélands ou même des mammifères aquatiques ont été retrouvés dans ses entrailles. Certaines baudroies peuvent atteindre 1,5 m de long et peser plus de 50 kg.
Une ponte prolifique
La période de reproduction s’étale de février à juillet. Les mâles détectent la femelle grâce à leurs narines sensibles aux phéromones, puis cherchent sa lumière au bout de son filament luminescent. Lors de l’accouplement, le mâle s’accroche fermement en mordant la femelle, et dès qu’elle ovule, elle crée une masse muqueuse de plus de 3 millions d’œufs, connue sous le nom de voiles pourprés, qui libère les spermatozoïdes pour la fécondation. Ces œufs remontent ensuite à la surface pour éclore en larves.
Le développement et la maturité sexuelle
Après l’éclosion fin mai ou début juin, les larves mesurent entre 10 et 12 mm et dérivent dans l’eau en phase planctonique. Vers 5 ou 6 cm, elles se déposent sur le fond et restent pélagiques jusqu’à environ 4 ans. Leur croissance est d’environ 10 cm par an durant leurs trois premières années, puis ralentie à 7 ou 8 cm, jusqu’à atteindre la maturité vers 6 ou 7 ans pour les mâles et 9 ou 10 ans pour les femelles, lorsque leur taille atteint 60-70 cm. La durée de vie de cette espèce peut atteindre 20 ans.
Un poisson très recherché sur le marché
La lotte des mers a une forte valeur commerciale et est pêchée toute l’année principalement par chalut. Sa croissance lente et sa maturité tardive en font une espèce vulnérable à la surpêche. Elle fait l’objet d’un grand appétit chez les gourmets pour sa chair délicate. Cependant, aucune taille minimale réglementaire n’est imposée, ce qui conduit souvent à la capture de jeunes individus avant qu’ils ne se reproduisent. Les données disponibles étant incomplètes, notamment sur le stock de la population, le Conseil international pour l’exploration de la mer recommande de réduire la pêche sur les jeunes baudroies.
Crédit photo : Bathynome