Au cours de la saison automnale, il n’est pas rare d’assister à un ballet aérien impressionnant : de vastes regroupements d’étourneaux évoluant dans le ciel. Ces spectacles ne se limitent pas aux zones rurales, car même en milieu urbain, ces oiseaux se livrent à une danse synchronisée qui fascine. Contrairement aux oiseaux migrateurs comme les oies ou les canards qui forment souvent des V lors de leur trajet, les étourneaux optent pour des formations beaucoup plus fluides et changeantes. Leur coordination exceptionnelle ne repose pas sur un chef de file, mais résulte d’une synchronisation instantanée : chaque mouvement de l’un influence immédiatemment ses voisins, permettant au groupe de changer de direction sans la moindre hésitation. Cet ingrédient mystérieux de leur organisation a captivé les chercheurs depuis plusieurs décennies, amenant à mieux comprendre la structure et le rôle de ces rassemblements aériens. Dans ce texte, découvrez comment ces passereaux organisent leur vol collectif et parviennent à inverser leur cap sans l’aide d’un commandement centralisé ni d’un plan de vol prédéfini.
Les nuées d’étourneaux possèdent-elles une forme particulière ?
Alors que de nombreux oiseaux migrateurs, comme les hirondelles ou les martinets, adoptent un vol en V lorsqu’ils se dirigent vers leurs zones d’hivernage plus clémentes, les étourneaux choisissent une autre approche. Plutôt que de former une silhouette géométrique précise, ils tracent dans le ciel de véritables arabesques féériques. Des chercheurs de l’université La Sapienza de Rome ont modélisé leurs trajectoires en trois dimensions, révélant une structure ressemblant à une nappe vivante, souple et ondulante, comparable à une feuille pliée ou déployée. Lorsqu’un individu modifie sa trajectoire, les autres le reproduisent presque instantanément, engendrant une série d’ondes de mouvance dans la masse. Ces vagues mouvantes, évoquant la fluidité d’un banc de poissons, désignent en anglais le phénomène de « murmuration ». Ce terme traduit une coordination collective dans laquelle chaque oiseau, sans leader, participe à la formation de patterns complexes, donnant lieu à une évolution harmonieuse et dynamique en vol. Ce comportement exemplifie une forme d’organisation collective, également appelé en zoologie agrégation.
Quand peut-on observer des nuées d’étourneaux ?
Si l’on quitte la campagne pour observer ces rassemblements, il est rassurant de savoir que les étourneaux ne disparaissent pas en hiver comme d’autres oiseaux migrateurs, tels que les hirondelles ou les martinets. En réalité, ces passereaux sont présents toute l’année dans certaines régions françaises. Entre octobre et février, des millions d’individus issus du nord et de l’est de l’Europe convergent vers le sud, où l’hiver est plus doux. Leur migration leur permet de rejoindre les sites où la nourriture est encore accessible, évitant ainsi que le sol gelé les empêche de se nourrir. Après avoir profité des ressources en milieu plus clément, ils regagnent leurs territoires de reproduction au printemps, généralement vers mars ou avril, laissant quelques oiseaux sédentaires toujours présents dans la région. Ces individus, particulièrement sociaux, se placent en groupes allant de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux. Au crépuscule, leur spectacle consiste en l’apparition de nappes opaques dans le ciel, moments où ils se rassemblent dans leurs dortoirs pour la nuit, après une journée d’alimentation dispersée.
Pourquoi les étourneaux revendiquent-ils la ville ?
Il n’est pas nécessaire de se rendre à la campagne pour admirer ces formations aériennes majestueuses. En milieu urbain, les étourneaux se montrent tout aussi à l’aise, voire plus. Leur absence de fear face aux zones peuplées leur permet de coloniser aisément des lieux urbains, où ils trouvent des abris et des températures plus agréables la nuit. Il est fréquent de les voir se rassembler dans les parcs ou sur les arbres des villes, formant de grandes masses compactes proches les uns des autres. Leur besoin de vivre en groupe les pousse à se disperser dans la journée pour rechercher leur nourriture : ils parcourent parfois jusqu’à 30 kilomètres pour dénicher graines, fruits ou autres sources de nourriture. Malgré leur contribution à la biodiversité, ils peuvent aussi causer des problèmes : en champs ou en vergers, leur gourmandise peut endommager récoltes et cultures. Lorsqu’ils sont perçus comme nuisibles, des méthodes comme les canons de chasse, les filets ou les dispositifs à ultrasons leur sont parfois opposés. Ces oiseaux finissent néanmoins par reconnaître les zones indésirables et évitent de revenir pour se nourrir. Le soir, ils regagnent leur dortoir urbain, où ils passent la nuit en grand nombre, sans perturbation.
La fonction des nuées d’étourneaux
La murmuration, ce phénomène d’écrans mouvants dans le ciel, a suscité de nombreuses hypothèses de la part des scientifiques. La principale concerne deux aspects : la protection contre les prédateurs et la transmission efficace d’informations au sein du groupe. La première théorie postule que se rassembler en grande masse constitue une stratégie pour dissuader les prédateurs, tels que les rapaces. En effet, une nuée compacte rend difficile une attaque ciblée par un seul oiseau de proie, puisque toute la masse intimide et désoriente le prédateur. Lorsqu’un membre du groupe perçoit un danger, il amorce rapidement un mouvement, et le reste du groupe lui emboîte le pas, formant un nuage sombre que l’attaquant ne peut engager facilement. Un individu isolé, par contre, devient une cible vulnérable. La seconde hypothèse avance que ces rassemblements favorisent la circulation et la transmission rapide de l’information. Lors de leur dispersion en petites bandes tout au long de la journée, les oiseaux recueillent des renseignements sur les zones de nourriture ou de danger, pour ensuite prévenir l’ensemble du groupe dans la murmurations. La communication instantanée leur permet de modifier leur trajectoire commune en un clin d’œil, un avantage crucial pour leur survie.
Les réseaux mathématiques derrière la coordination des étourneaux
Contrairement aux formations en V migratoires, la nuée d’étourneaux ne tourne pas autour d’un leader spécifique. Dès les années 1980, des chercheurs en mathématiques et en physique ont étudié ce phénomène et identifié plusieurs éléments clés :
- Aucun oiseau ne semble diriger le groupe ; toute modification de trajectoire peut être initiée par n’importe quel individu, leur propagation ressemblant à une vague ou une ola;
- Chaque oiseau répond uniquement aux mouvements de ses voisins proches, généralement six ou sept, sans tenir compte du reste du groupe;
- En alignant leur vitesse et leur direction avec celles de leurs proches, ils maintiennent une distance microscopique équivalente à la longueur de leur aile;
- Des variations dans la vitesse ou la position d’un seul animal peuvent rapidement être transmises à l’ensemble de la nuée, provoquant un changement collectif de direction allant dans une même optique, sans risque de collision.