Dans l’imaginaire collectif, la cigogne est souvent représentée avec un plumage immaculé. Cependant, en France, une autre variété existe : la cigogne noire. Elle fréquente principalement nos côtes en tant que nicheuse et est aussi présente lors de ses migrations vers l’Afrique. Cet article offre une plongée détaillée dans le portrait de cette espèce : ses traits physiques, son comportement, ses modes de reproduction, ses menaces et les efforts de conservation, en soulignant qu’elle reste une espèce moins visible, mais tout aussi captivante que sa cousine claire.
Aperçu de la cigogne noire
Appartenant à l’ordre des ciconiiformes et à la famille des ciconiidés, la cigogne noire (Ciconia nigra) partage cette famille avec d’autres échassiers comme les jabirus, les tantales, les bec-ouverts et les marabouts. Ces oiseaux se reconnaissent à leur long cou (notamment en vol), leur bec robuste et leurs longues pattes fines, témoignant de leur préférence pour les zones humides. La famille des ciconiidés compte plusieurs genres et espèces, dont deux vivent en Europe, la blanche et la noire. La cigogne noire est légèrement plus compacte : elle mesure environ 95 à 100 cm, avec une envergure allant jusqu’à 155 cm, et son poids tourne autour de 3 kg.
Comment reconnaître la cigogne noire ?
Son plumage est marqué par un contraste saisissant : la tête, le cou, le haut du corps et la queue sont d’un noir profond, souvent irisé de verts et de violets, alors que ses zones inférieures, telles que le ventre et les cuisses, sont blanches. Les zones nues autour du bec, des pattes et de l’œil arborent une teinte rouge éclatante. Les jeunes oiseaux présentent un contraste moins marqué, avec un plumage bruns et des reflets gris, ainsi qu’un bec et des pattes de couleur plus claire. Il n’existe pas de différence visible entre mâle et femelle à l’œil nu.
Son territoire et distribution
Bien que largement dispersée sur les deux hémisphères, la cigogne noire n’est pas présente en Australie ni en Amérique. Son habitat en Europe s’étend de la péninsule Ibérique jusqu’aux régions de l’Ukraine, incluant aussi la steppe de Sibérie. Une population isolée réside dans le sud-est de l’Espagne et le Portugal. Dans l’hémisphère sud, elle préfère le sud de l’Afrique, de la région du Malawi jusqu’à l’extrémité méridionale, passant par la Zambie et la Botswana.
Migration ou sédentarité ?
Comme sa cousine, la cigogne noire migre vers des régions plus chaudes lors des mois d’hiver. En Europe occidentale, la majorité des oiseaux rejoint l’Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, au Sénégal ou au Burkina Faso, tandis qu’une partie de la population ibérique reste en place. Les individus venus d’Europe de l’Est migrent vers d’autres pays africains comme l’Éthiopie ou la République centrafricaine, tandis que ceux du Sibérie traversent l’Asie pour atteindre des zones plus chaudes du Pakistan, de l’Inde ou de la Chine. La population en Afrique australe, elle, tend à rester sur place, ne se déplaçant que pour des mouvements d’altitude.
La présence de la cigogne noire en France
Après avoir été présente au XVIIIe siècle, la cigogne noire a disparu du territoire français suite à une surexploitation forestière. Son retour, dans les années 1970, témoigne d’une amélioration de la qualité des eaux et des habitats forestiers. Le premier nid observé dans le pays date de 1973, en Indre-et-Loire, et depuis, l’espèce a progressivement recolonisé l’hexagone, en particulier dans le Grand-Est, le Centre et la région Ouest, comme l’Anjou. La population actuelle en France est estimée à une soixantaine de couples reproducteurs, nettement inférieure aux plusieurs milliers de la cigogne blanche. La reprise se fait principalement dans le Nord-Est, avec des extensions vers l’Allier ou la Nièvre, profitant aussi du passage migratoire en provenance d’Europe centrale et orientale, notamment autour des grands lacs de Champagne-Ardenne.
Son habitat de prédilection
Les lieux de vie de la cigogne noire varient selon la saison :
- Pour la reproduction, elle privilégie les forêts proches de zones humides, comme les marais ou les petits cours d’eau calmes. En Europe, elle cherche des futaies anciennes, comme de vieilles chênaies ou des pinèdes maritimes, voire des hêtraies. Sur la péninsule Ibérique, la nidification se fait parfois en milieux rupestres ou isolés dans les arbres.
- En période de migration ou en hivernage, l’oiseau devient plus adaptable, fréquentant des habitats plus ouverts. Elle recherche alors des zones comme les oueds africains, où elle se déplace en fonction du niveau des eaux, se regroupant à la tombée de la nuit dans des dortoirs perchés en hauteur dans la savane.
Son alimentation
Le régime principal de la cigogne noire est constitué de poissons, qu’elle chasse en pataugeant dans les eaux peu profondes. Elle consomme également des amphibiens, des insectes, des crustacés comme les écrevisses, des mollusques, ainsi que de petits reptiles ou mammifères. En France, le chabot est la proie aquatique la plus couramment donnée aux jeunes cigogneaux, stockée dans le jabot des adultes pour les nourrir au fil des jours. La capture se fait souvent en profondeur ou dans peu d’eau, en utilisant ses longues pattes et son bec robuste.
Mode de vie et comportements
De nature active durant la journée, la cigogne noire se montre généralement réservée et peu à l’aise avec l’homme. Elle privilégie des habitats forestiers pour se dissimuler, contrairement à la cigogne blanche qui s’adapte davantage aux zones anthropisées. Lors de la saison de reproduction, elle adopte une conduite discrète, avec des parades nuptiales simples et brèves vocalisations. Son tempérament est plutôt solitaire, chaque couple ayant tendance à rester isolé sur son site de nidification. Cependant, lors de migrations ou de mouvements hivernaux, des regroupements peuvent se former. Elle vole avec le cou et les pattes tendus, utilisant souvent les ascensions thermiques pour optimiser ses longs vols.
La construction de son nid
Les couples commencent à revenir de leur zone hivernale à la fin de l’hiver, à partir de février. Monogames, ils reviennent chaque année pour occupier ou restaurer un nid situé généralement dans un arbre dominant. Si le nid existant est en bon état, ils le réutilisent ; sinon, un autre est construit à proximité. Le nid, imposant par sa taille, peut atteindre 2 mètres de diamètre et 1,5 mètre d’épaisseur, constitué de branches, de mousse, d’herbes, de feuilles et de terre pour sa partie interne.
La reproduction et l’élevage des jeunes
Au printemps, la femelle dépose généralement 3 ou 4 œufs blancs, qu’elle incube avec le mâle pendant environ un mois. Après l’éclosion, les deux adultes nourrissent ensemble les jeunes, régurgitant une nourriture qu’ils leur donnent plusieurs fois par jour. La période d’élevage dure environ 2 à 2 mois et demi, durant laquelle ils restent silencieux pour éviter d’attirer d’éventuels prédateurs, comme les rapaces. Les cigogneaux deviennent indépendants vers l’âge de 3 ans, et leur premier envol vers la maturité leur permet de se reproduire à leur tour.
Menaces et protection
Les cigognes noires adultes sont peu vulnérables face aux prédateurs naturels, situées en haut de la chaîne alimentaire. Cependant, les œufs et les jeunes peuvent être la cible de rapaces ou d’autres prédateurs. Au niveau mondial et européen, l’espèce bénéficie d’un statut de « préoccupation mineure » selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En France, il est considéré que les couples nicheurs sont en danger, tandis que ceux en migration sont vulnérables. Plusieurs facteurs mettent leur survie en danger :
- Les nuisances humaines qui perturbent leurs sites de nidification;
- Les coupes et travaux forestiers réalisés à proximité de leurs habitats;
- La détérioration des zones humides, notamment par le drainage et la mise en culture intensive, avec l’usage de pesticides;
- Les risques de chute ou d’électrocution liés aux lignes électriques;
- Le dessèchement des zones de nourrissage en Afrique durant la période hivernale.
Protection et législation
La cigogne noire bénéficie d’un cadre de protection strict en France, inscrit sur la liste officielle des oiseaux protégés depuis l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009. Toute intervention visant ses sites de reproduction ou de repos est interdite, tout comme la perturbation intentionnelle durant ses périodes sensibles. Elle figure également en annexe I de la directive européenne « Oiseaux » et est protégée par plusieurs conventions internationales telles que la Convention de Berne, la Convention de Bonn, CITES, ainsi que l’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA). Avec une longévité pouvant atteindre 20 ans, la cigogne noire bénéficie ainsi d’un cadre juridique visant sa préservation.