Depuis la fin des années 1990, une chute drastique des populations d’abeilles mellifères a été observée à l’échelle mondiale. En France, la production de miel a été réduite de moitié en deux décennies, et certains apiculteurs rapportent des pertes pouvant atteindre 90 % de leurs colonies, alors que la mortalité naturelle tourne habituellement autour de 5 à 10 %. Quelles en sont les causes principales et quelles stratégies ont été mises en place pour contrer cette crise ?
La menace du varroa destructor
Ce parasite acarien cible principalement le couvain des abeilles, c’est-à-dire les larves, nymphes et œufs protégés par la colonie. Son apparition a rapidement été reconnue comme une cause majeure de la dépopulation des ruches. Originaire d’Asie du Sud-Est, il parasite l’abeille asiatique Apis cerana, qui possède une résistance naturelle à ses attaques. En revanche, l’abeille européenne Apis mellifera n’a pas développé cette défense et est vulnérable à une infestation qui peut s’accompagner de virus et autres microbes, aggravant ainsi la mortalité. La maladie résultant de cette infestation est communément appelée la varroose.
La menace du champignon Nosema Ceranae
Un autre agent pathogène d’origine asiatique, ce champignon microscopique unicellulaire, est responsable d’infections fongiques chez l’abeille. Il s’attaque principalement à l’appareil digestif, entraînant des diarrhées aiguës pouvant être fatales. Un cas notable a été celui de ruches isolées sur l’île d’Ouessant, où ce champignon, encore peu étudié, a été découvert alors que l’île est protégée de la varroose depuis plusieurs décennies. De plus, Nosema Ceranae semble agir en synergie avec le fipronil, un antiparasitaire utilisé pour traiter certains parasites d’animaux domestiques mais interdit pour les animaux destinés à la consommation. Cette combinaison peut altérer la physiologie des abeilles mâles, réduisant leur capacité reproductive.
Les prédateurs et les espèces invasives
Depuis 2004, la France doit composer avec la présence du frelon asiatique, un prédateur redoutable pour les abeilles mellifères. Sa capacité à envahir rapidement les régions, malgré l’utilisation limitée de pesticides contre lui, et ses habitudes de chasse spécifiques en font un danger difficile à contenir. La différence de taille, les 11 à 13 mm pour une abeille contre 17 à 26 mm pour le frelon, limite la défense des abeilles, qui perçoivent le frelon surtout comme un prédateur de leurs larves. Par ailleurs, l’abeille africaine, introduite dans le but d’améliorer la résistance aux maladies dans certains pays, s’est propagée de manière incontrôlable, devenant une espèce invasive. Sa présence dans les ruches européennes pose problème en raison de son agressivité, notamment à l’égard de l’homme, ainsi que de sa compétition pour les ressources avec l’abeille locale.
La menace du coléoptère Athenia tumida
Originaire d’Afrique du Sud, ce petit insecte parasite s’est répandu dans les colonies d’abeilles via l’importation de matériel contaminé ou de cire infectée. Si l’abeille africaine a développé des mécanismes de défense efficaces, en éliminant notamment les œufs et larves parasite, l’abeille européenne reste plus vulnérable face à cette nouvelle menace. La reproduction du coléoptère étant fragile, sa propagation demeure relativement limitée, mais son potentiel de nuisance ne doit pas être négligé.
Le syndrome d’effondrement des colonies
Ce phénomène désigne la disparition complète d’une colonie d’abeilles, souvent constatée lorsque l’apiculteur ouvre la ruche et ne trouve que la reine, du couvain et quelques ouvrières. La cause principale a été mise en évidence : l’utilisation excessive de néonicotinoïdes. Ces insecticides agissent sur le système nerveux central des insectes, provoquant la mort à haute dose, ou des perturbations cognitives, rendant l’abeille incapable de retrouver son chemin si la dose est plus faible.
L’impact du changement climatique
Les variations de température affectent directement la vie des abeilles. La hausse de la température moyenne réduit la flore disponible, notamment les fleurs et les plantes dont le nectar constitue la nourriture principale. La raréfaction de cette ressource fragilise la capacité des colonies à se nourrir et à se développer.
Quelles solutions pour freiner la déclin des abeilles mellifères ?
Il apparaît que plusieurs facteurs conjugués contribuent à la dégradation des populations d’abeilles, rendant leur protection complexe. La recherche tente d’identifier des mesures concrètes. Il ne suffit pas d’interdire certains produits, car la fragilité des pollinisateurs en face des insectes nuisibles est souvent plus grande que leur résilience. Lorsqu’ils disparaissent, d’autres espèces prolifèrent, mettant en danger l’équilibre écologique. La question de l’efficacité des traitements contre le varroa demeure, puisque si certains produits chimiques permettent d’éviter l’effondrement des colonies, ils ne constituent pas une solution durable et peuvent, à terme, nuire à la vitalité des abeilles. De même, l’usage d’herbicides non sélectifs, comme le glyphosate, peut réduire la diversité florale ; certains de ces produits ont également des effets toxiques directs sur les abeilles. Il est crucial de limiter leur usage et de rechercher des alternatives sans impact nocif sur ces insectes pollinisateurs. En 2013, l’Europe a suspendu l’utilisation des néonicotinoïdes pour plusieurs cultures, telles que le colza, le maïs ou le coton, qui sont majoritairement visitées par les abeilles.
Promouvoir de bonnes pratiques chez les apiculteurs
Malgré leur rôle, certains apiculteurs peuvent, par ignorance ou negligence, adopter des pratiques délétères pour leurs colonies, notamment en sous-estimant l’importance du dosage des antiparasitaires ou en négligeant l’entretien régulier des ruches. Il est recommandé de :
- placer les ruches dans des endroits secs et ensoleillés durant l’hiver,
- gérer l’humidité en aérant correctement la ruche,
- favoriser l’élevage de jeunes abeilles à l’automne pour renforcer la colonie au printemps,
- supprimer les colonies faibles ou fragiles,
- renouveler périodiquement les cadres de la ruche,
- assurer une désinfection régulière des équipements.
Il demeure toutefois que le consensus parmi les professionnels n’est pas toujours unanime sur certaines pratiques, comme l’élimination des colonies affaiblies. La collaboration sereine entre chercheurs et apiculteurs apparaît essentielle pour élaborer des solutions durables et sauvegarder l’avenir des abeilles mellifères.