Ces dernières années, un nombre croissant d’articles ont alerté sur le risque d’extinction auquel pourrait faire face la population de libellules. La disparition d’espèces suscite souvent des réactions passionnées, rendant nécessaire une analyse approfondie pour comprendre les véritables enjeux de cette situation. Dans cet article, nous allons explorer la réalité entourant la situation des libellules.
Les libellules en confrontation avec l’humanité ?
Notre rapport à la nature est en pleine mutation, ce qui engendre des débats souvent polarisés. L’homo sapiens est fréquemment perçu comme un agent de destruction environnementale, car ses actions ont provoqué l’extinction de plusieurs espèces. La libellule, avec son apparence délicate, est souvent évoquée dans cette optique, alimentant l’idée que l’homme et la nature sont en conflit, la nature étant perçue comme vulnérable. Examinons cela de plus près.
Pour créer une image de nature féerique, la libellule s’intègre parfaitement à ce décor grâce à sa grâce. Elle appartient à la catégorie des odonates, un groupement également comprenant les demoiselles. Ces insectes volent au-dessus des eaux dès le début du printemps, ajoutant une touche magique aux paysages. Leur palette de couleurs enchante, et leur comportement paisible, sans piqûres ni bruits, ne présente aucun danger pour l’humain.
De nos jours, la principale menace pesant sur leur survie réside dans la destruction des zones humides, phénomène d’ampleur mondiale. Depuis décembre 2021, la libellule figure parmi les espèces menacées selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), organisation de référence dans le domaine scientifique.
Sur la planète, près de 16 % des espèces étudiées (environ 6 000 sur un total de 89 françaises) sont en danger, avec une proportion pouvant atteindre 25 % en Asie du Sud et du Sud-Est. En France métropolitaine, une étude de 2016 avait révélé qu’une vingtaine d’espèces de libellules étaient menacées d’extinction. La disparition de ces insectes est principalement due à l’assèchement des zones humides, à la déforestation, ainsi qu’à l’utilisation de pesticides, le tout étant accentué par le changement climatique. Des activités humaines comme l’expansion agricole, notamment pour la culture du palmier à huile ou des zones résidentielles, contribuent à cette détérioration.
Quelles causes expliquent la diminution des zones humides ?
En 1991, le ministère de l’Environnement en France a formé un groupe de 16 spécialistes pour élaborer des recommandations visant une stratégie nationale de protection des zones humides. Leur travail intensif a permis de mieux comprendre ces habitats fragiles.
En France, une méfiance historique envers ces espaces provient de leur assimilation aux lieux insalubre, notamment en raison de la présence de moustiques vecteurs du paludisme, qui ravageait des régions comme la Sologne, la Camargue ou les Dombes au XIXe siècle. La lutte contre ces maladies a permis de réduire considérablement leur impact grâce à l’amélioration des conditions sanitaires, aux traitements comme la quinine, et à l’utilisation de pesticides. Par ailleurs, l’assèchement de certains marais a également joué un rôle dans la diminution des cas de maladies.
L’irruption du moustique tigre (Aedes albopictus) dans les années 2000, sa propagation vers le nord et sa capacité à transmettre des virus tels que la dengue, le chikungunya ou Zika, ont ravivé la crainte de leur présence dans les zones urbaines. Or, il semble que cette espèce s’adapte parfaitement au milieu urbain, indépendamment des zones humides, ce qui a conduit la France à lancer en 2004 une stratégie nationale pour la biodiversité. Celle-ci a permis la création d’aires protégées et l’établissement de corridors écologiques nommés trame verte et bleue. Entre 1960 et 1990, la moitié des zones humides avaient disparu, mais depuis lors, la perte s’est ralentie, sans qu’un arrêt définitif soit encore constaté.
Partout dans le monde, la situation est similaire : la majorité des zones humides ont disparu depuis le début du XXe siècle, avec une perte encore plus marquée en Asie. Ces écosystèmes essentiels sont souvent détruits en raison des besoins humains en eau pour l’agriculture ou la prévention des inondations, sans toujours préserver l’équilibre naturel.
Les libellules face aux moustiques
Certains endroits sont expérimentaux pour élaborer des stratégies pérennes conciliant équilibre écologique et besoins humains. La réglementation européenne relative à l’utilisation des biocides depuis 1998 a limité certains traitements, notamment ceux contre les moustiques, incitant à rechercher des alternatives plus respectueuses de l’environnement.
Le Bti (Bacillus thuringiensis israelensis), un bactéries naturellement présente dans le sol, est aujourd’hui le seul larvicide homologué en Europe en raison de sa haute sélectivité et de sa faible toxicité. Cependant, son utilisation soulève des défis : en réduisant la population de moustiques, on impacte également la nourriture de nombreuses espèces dépendantes de ces insectes, comme certaines libellules, araignées ou oiseaux. En effet, les libellules, en tant que carnivores, se nourrissent de têtards, de petits poissons et de moustiques, donc une diminution de ces derniers entraîne une réduction notable de leur diversité et de leur abondance.
Les interventions dans les écosystèmes doivent être menées avec précaution, car si les moustiques sont nuisibles, ils jouent aussi un rôle dans la chaîne alimentaire. Le destin des libellules est donc étroitement lié à celui des moustiques. Il reste essentiel de continuer à chercher des solutions afin de préserver la biodiversité tout en protégeant la santé humaine, en gardant à l’esprit que toutes les espèces de moustiques ne sont pas dangereuses et que leur contrôle doit être mesuré.