Le film français Microcosmos : Le peuple de l’herbe, sorti en 1996, s’est donné pour mission d’immerger les spectateurs dans l’univers minuscule des insectes et autres petites créatures. La caméra, en se rapprochant de ces minuscules organismes, permet une compréhension plus intuitive de leur monde. La fascination qu’ils suscitent est indéniable, même si, en général, ils sont perçus comme des nuisibles. Cependant, leur vie reste largement mystérieuse pour nous, notamment en ce qui concerne leur perception sonore. La question qui se pose est alors : entendent-ils réellement ? Et si oui, par quels moyens, étant donné qu’ils ne possèdent pas d’oreilles comme les humains ?
L’audition humaine versus celle des insectes
Percevoir les sons revient à capter des vibrations se propageant dans l’air ou d’autres milieux. Chez l’humain, ces vibrations entrent dans l’oreille externe, puis sont canalysées par le conduit auditif jusqu’au tympan, qui vibre face aux ondes sonores. Ces mouvements sont transmis à trois petits os de l’oreille moyenne — le marteau, l’enclume et l’étrier —, pour culminer dans la cochlée située dans l’oreille interne. La cochlée, remplie de liquide et tapissée de cellules ciliées, convertit ces vibrations en signaux électriques. Ceux-ci sont envoyés au cerveau via le nerf auditif, qui les traduit en sons compréhensibles. Chez les insectes, la perception sonore repose sur d’autres mécanismes, bien qu’ils puissent aussi percevoir certains sons.
Les insectes disposent de divers sens, parfois regroupés en une seule catégorie, ou dans certains cas très spécialisés. Leur faculté à capter les vibrations sonores, tout comme chez les mammifères, est variable selon les espèces. Par exemple, les chauve-souris et les dauphins utilisent l’écholocation pour naviguer dans l’espace, tandis que d’autres insectes, bien qu’équipés de sens qui leur permettent d’enregistrer certains sons, ne possèdent pas d’organe équivalent à notre oreille.
Les organes chordotonaux
Chez l’insecte, des organes appelés chordotonaux jouent un rôle clé dans la perception sensorielle. Leur fonction dépasse la simple détection acoustique, englobant aussi la proprioception (perception de la position et du mouvement du corps), la détection de vibrations provoquées par le sol, l’air ou l’eau, et même la perception de la gravité. Ces structures internes se trouvent souvent dans les articulations, comme celles des pattes, des antennes ou parfois sur les ailes.
Certains insectes, tels que les criquets et les sauterelles, possèdent des organes tympaniques, qui ressemblent beaucoup à nos tympans. Ces membranes slim et fragiles, tendues sur une cavité remplie d’air, vibrent sous l’effet des ondes sonores et permettent ainsi à l’insecte d’interpréter ces vibrations. Leur position varie selon l’espèce : chez certains, ils se trouvent sur les pattes antérieures, alors que d’autres ensemble sur l’abdomen ou le thorax.
Une fois vibrants, ces tympans sont reliés à des mécanorécepteurs spécialisés qui transforment ces mouvements en signaux nerveux. Ces signaux sont acheminés vers le cerveau, où ils sont décodés pour donner naissance à des perceptions sonores. La localisation des tympans sur le corps est souvent une adaptation à leur environnement ou à leurs comportements : par exemple, ceux placés sur les pattes avant des sauterelles permettent une détection précise des sons venant de différentes directions, facilitant la communication ou l’évitement des prédateurs.
La sensibilité des tympans peut également être modulée par l’insecte en ajustant leur tension, ce qui optimise leur capacité à distinguer certaines plages de fréquences. Une telle faculté d’adaptation leur est vitale pour percevoir les sons de reproduction ou ceux annonciateurs de dangers.
Les poils sensoriels sensibles aux vibrations
Ce mécanisme n’est pas omniprésent chez tous les insectes. Certains, comme les moustiques et les mouches, utilisent plutôt des poils sensoriels pour capter les vibrations dans l’air. Placés surtout sur leurs antennes, ces poils sont d’une extrême sensibilité et réagissent aux ondes sonores ou aux variations de pression ambiante. Par exemple, les moustiques mâles s’appuient sur leurs antennes poilues pour entendre le battement d’ailes des femelles, ce qui leur permet de localiser leurs partenaires dans un environnement complexe.
Ces poils, nommés trichobothries, détectent les vibrations très faibles dans l’air, parfois même en dessous de la perception humaine. Leur fonctionnement repose sur la détection des micro-mouvements engendrés par les sons ou par l’activité des autres insectes. Lorsqu’une vibration agit sur un poil, cela stimule des neurones sensoriels à sa base et envoient une information électrique au système nerveux de l’insecte.
Les antennes des moustiques mâles sont ainsi finement calibrées pour capter des fréquences précises, notamment celles correspondant aux battements d’ailes femelles, un rôle crucial dans la reproduction. Au-delà de la détection sonore, ces poils leur permettent aussi de sentir les courants d’air et les changements de température, leur fournissant de précieuses indications sur leur environnement immédiat.
Nature des sons perçus par les insectes
Les insectes sont sensibles à une vaste gamme de fréquences sonores, privilégiant souvent celles de basses fréquences. Par exemple, les criquets et les grillons produisent des stridulations — des sons générés en frottant leurs ailes ou leurs pattes — qui servent à la communication intra-espèce et à la reproduction. Certains insectes nocturnes, comme certains papillons, sont même capables de capter les ultrasons, ces sons de très haute fréquence souvent utilisés par certains prédateurs comme les chauves-souris.
La perception sonore joue un rôle fondamental dans la communication : les cigales mâles chantent pour attirer les femelles, tandis que les termites utilisent des vibrations sonores pour coordonner leur travail dans la colonie. Chez d’autres insectes, comme les moustiques, c’est le bruit des battements d’ailes qui sert à détecter les partenaires.
En outre, leur audition leur permet aussi d’identifier les menaces. Les papillons de nuit, comme beaucoup d’autres, évitent les chauves-souris en détectant les ultrasons qu’elles émettent en chasse. Chez les insectes aquatiques, comme certaines nymphes de libellules, des organes chordotonaux situés sur leurs pattes ou antennes leur signalent la présence de proies ou de prédateurs, en perçant les vibrations dans l’eau.
En fin de compte, la capacité de percevoir différents sons, directement adaptée à leur mode de vie, permet à chaque insecte de mieux interagir avec son environnement. Étudier leur audition révèle l’incroyable diversité de leurs moyens d’adaptation, témoignant de leur remarquable capacité à survivre et à évoluer sur Terre.