Reconnaissons que le doryphore (Leptinotarsa decemlineata) possède un aspect esthétique attrayant. Cependant, il figure parmi les insectes nuisibles les plus redoutés par ceux qui cultivent la pomme de terre. Originaire des Amériques, notamment d’Amérique du Nord, cette espèce s’est rapidement répandue dans différentes parties du globe, grâce à sa capacité d’adaptation et son appétit insatiable. Cet article vous propose d’en apprendre davantage sur cet insecte, sa biologie, ainsi que sur les conséquences de sa présence sur les cultures agricoles.
Origine et expansion du doryphore
Issu du Mexique, le doryphore était initialement présent sur des végétaux sauvages appartenant à la famille des Solanacées. Avec le développement de la culture de la pomme de terre au XIXe siècle, il a trouvé une ressource alimentaire abondante et nutritive, favorisant son expansion. La transmission de l’insecte s’est accentuée à travers le commerce et les déplacements humains, un phénomène fréquent avec les espèces invasives aujourd’hui. Les premiers signes d’une infestation majeure apparaissent dès les années 1860. Sur la période de 1865 à 1875, il a rapidement colonisé les principales zones productrices de pommes de terre, provoquant des pertes considérables. En Europe, la première grande invasion a été recensée en Allemagne en 1877, puis s’est répandue à travers le continent au fil des décennies suivantes.
Les conflits mondiaux successifs ont aussi contribué à sa dispersion : lors de la Première Guerre mondiale, les mouvements de troupes ont diffusé le coléoptère dans de nouvelles régions. Les années 1920 et 1930 ont été marquées par une augmentation des infestations en France, en Belgique et dans d’autres pays européens. La Seconde Guerre mondiale a été un épisode critique pour sa prolifération en Europe, aggravant paradoxalement les pénuries alimentaires liées à la dégradation des cultures.
Cycle de vie du doryphore
Le doryphore à l’état adulte se repère facilement. Avec une longueur de 10 à 12 millimètres, son corps présente une coloration allant du jaune à l’orange, ponctuée de rayures noires qui s’étendent longitudinalement sur ses élytres (les ailes dures). Les larves, quant à elles, affichent une teinte allant du rouge à l’orange, parsemée de points noirs sur les côtés.
Son développement suit un rythme classique : les femelles déposent des grappes d’œufs jaunes sous les feuilles de la pomme de terre, pouvant atteindre 800 œufs tout au long de leur vie. En quelques jours à deux semaines, ces œufs éclosent pour donner naissance à des larves voraces qui, durant 2 à 3 semaines, consomment les feuilles. Ensuite, les larves se nymphosent et se métamorphosent en adultes dans le sol. La durée totale du cycle, de l’œuf à l’insecte adulte, oscille généralement entre un et un demi-mois, modulée par la température. En pratique, un ou plusieurs cycles se succèdent chaque année, en fonction du climat, pouvant atteindre quatre dans les régions plus chaudes. Dans le Nord de la France, une seule génération par année est observée, tandis que dans le Sud, il peut y en avoir deux.
À l’approche de l’hiver, les adultes survivants s’enfouissent dans le sol à une profondeur de 30 à 40 cm afin de hiberner. Leur taux de survie après cette période est supérieur à 60 %, leur permettant une reprise rapide de leur activité au printemps suivant.
Mais true? Le doryphore se nourrit-il exclusivement de pommes de terre ?
Ce coléoptère est sélectif envers les Solanacées, sa famille de prédilection. La culture principale qui le concerne est la pomme de terre (Solanum tuberosum), mais il peut également s’attaquer à d’autres membres de cette famille botanique, comme l’aubergine (Solanum melongena), la tomate (Solanum lycopersicum) ou encore la belladone (Atropa belladonna).
En dehors de ces plantes principales, il existe des hôtes secondaires limités dans leur capacité à supporter le cycle complet d’infestation. Parmi eux, des plantes telles que le datura (Datura stramonium), la morelle douce-amère (Solanum dulcamara) et la morelle noire (Solanum nigrum) qui ne servent qu’au nourrissage des adultes ou des larves matures. Ces espèces jouent souvent un rôle de refuge lorsque les hôtes préférés sont indisponibles, notamment après la récolte.
Les préférences du doryphore peuvent varier selon les régions ou la population locale. Par exemple, dans la région centrale du Mexique, il privilégie S. rostratum et S. angustifolium, tandis qu’en Arizona, S. elaeagnifolium constitue son hôte principal. Depuis sa prolifération dans la région méditerranéenne, cette dernière plante favorise également l’infestation des cultures locales de pommes de terre.
Il existe également des variétés de pommes de terre sauvages résistantes naturellement au doryphore. Ces résistances sont généralement dues à la présence de glycoalcaloïdes toxiques pour l’insecte, comme dans Solanum demissum, qui possède des composés empêchant la croissance des larves. D’autres espèces, telles que S. berthaultii, disposent de trichomes glandulaires qui bloquent physiquement l’insecte. Bien que des entreprises aient exploré la création de variétés transgéniques, leur développement a été abandonné principalement pour des raisons commerciales.
Les prédateurs naturels du doryphore
En Amérique du Nord, diverses ennemis naturels contribuent à limiter la progression du doryphore :
- Les Chrysopes, insectes neuroptères ;
- Les punaises de la famille des Pentatomidae ;
- Des mouches parasites de la famille Tachinidae ;
- Des coléoptères comme les coccinelles, cécinilidés, staphylins et carabidés ;
- Des guêpes et fourmis prédatrices ou parasite.
Des agents pathogènes naturels jouent aussi un rôle important. La champignon Beauveria bassiana infecte notamment les adultes, tandis que le champignon Syspastospora parasitica peut parasiter ce dernier. La bactérie Bacillus thuringiensis subsp. tenebrionis produit des toxines létales pour le coléoptère. De plus, le symbiote bactérien Photorhabdus luminescens, associé à des nématodes, synthétise des toxines ingérées par l’insecte. D’autres bactéries parasites, comme les spiroplasmes, ont aussi été isolées dans le tube digestif du doryphore.
Les dégâts et méthodes de lutte contre le doryphore
Les infestations de doryphores peuvent causer des dégâts majeurs sur les cultures de pommes de terre. Un stock fortement touché peut perdre toutes ses feuilles, affectant gravement le développement et la récolte des tubercules, avec des pertes économiques conséquentes dans les zones où la pomme de terre est une culture essentielle.
La gestion de cette menace exige des investissements importants. Les agriculteurs doivent recourir à des pesticides, à des pratiques culturales adaptées et à une gestion intégrée des ravageurs. Ces interventions représentes un coût non négligeable pour l’exploitation agricole.
Les pesticides restent la méthode prioritaire pour freiner la progression du coléoptère. Cependant, face à l’apparition de résistances du doryphore, leur efficacité s’érode. Par ailleurs, leur emploi soulève des questions environnementales et sanitaires importantes.
Parmi les stratégies naturelles, la préservation ou la facilitation des ennemis naturels, tels que certaines coccinelles, punaises ou araignées, est encouragée, car ils se nourrissent des œufs et des larves du doryphore.
Les adaptations culturales, comme la rotation avec des cultures non hôtes (par exemple, des céréales), peuvent interrompre son cycle de vie. Le paillage et le labour sont aussi des techniques efficaces pour détruire les œufs et les nymphes enfouis dans le sol.
Malgré toutes ces méthodes, le problème posé par le doryphore n’est pas complètement résolu. De plus, le changement climatique pourrait favoriser une expansion de son aire de répartition dans de nouvelles régions, compliquant davantage sa gestion.