Le terme d’« abeille tueuse » évoque une image qui peut faire frissonner, largement alimentée par la culture populaire et le cinéma. Des scènes où d’immenses colonies d’abeilles fondent sur leurs victimes humaines pour les piquer en masse restent gravées dans l’imaginaire collectif. La réalité, bien que moins dramatique, n’en demeure pas moins préoccupante en raison des risques que peuvent poser certaines colonies. Voici une synthèse pour mieux comprendre cette problématique.
Une création issue de l’intervention humaine
L’apparition des abeilles dites « tueuses » ne relève pas d’un phénomène naturel, mais résulte d’expériences humaines dans un contexte précis. Dans les années 1950 au Brésil, le pays voulait devenir le principal producteur mondial de miel. Pour atteindre cet objectif, les autorités ont cherché à augmenter la production en sélectionnant des colonies plus prolifiques, en collaboration avec le chercheur Warwick Estevam Kerr, expert en génétique apicole à l’université de São Paulo.
Le plan consistait à importer des reines d’Apis mellifera scutellata, une race originaire de Namibie réputée pour sa capacité à se multiplier rapidement dans un climat tropical, contrairement aux abeilles européennes qui y étaient moins adaptées. Si cette espèce produisait moins de miel, la grande quantité de ses colonies pouvait compenser la moindre productivité individuelle. Cependant, ces abeilles présentaient une nature très agressive qui compliquait leur exploitation pour la production de miel. L’idée était alors de croiser cette espèce avec des races européennes déjà présentes au Brésil, telles que Apis mellifera ligustica ou Apis mellifera iberiensis. Les hybrides résultants, toutefois, conservaient cette agressivité, ce qui limita leur utilisation. La situation s’est compliquée lorsque quelques colonies s’en sont échappées du laboratoire.
Vérité sur la dangerosité réelle des abeilles tueuses
Une fois en liberté, cette souche agressive s’est répandue rapidement, colonisant des zones plus vastes en progressant de 100 à 300 kilomètres par an. Après avoir atteint le Mexique en 1985, elle s’est implantée dans plusieurs États américains durant la décennie suivante. Le cas d’un agriculteur texan ayant été piqué par des centaines d’abeilles en 1993 a fortement médiatisé la problématique. Le journaliste qui relatait cet incident a popularisé le terme « abeille tueuse » en évoquant une attaque massive où l’essaim aurait infligé jusqu’à mille piqûres à la victime.
Il est important de préciser que le venin de ces abeilles (ainsi que celui de leurs hybrides) n’est pas plus toxique que celui des autres abeilles européennes. Leur danger réside principalement dans leur comportement. Lorsqu’un essaim attaque en groupe, le nombre de piqûres peut atteindre des seuils très élevés, notamment parce qu’elles ont la capacité de suivre une cible sur plusieurs centaines de mètres et de rester en alerte pendant de longues heures. Contrairement aux abeilles européennes, qui piquent généralement une seule fois, ces colonies peuvent poursuivre leur victime et multiplier les attaques.
Ce problème persiste, notamment parce que supprimer ces populations n’est pas une option envisageable, compte tenu de leur rôle vital dans la pollinisation et la production alimentaire mondiale. Leur présence est essentielle pour environ un tiers des cultures agricoles, tant aux États-Unis qu’à l’échelle mondiale.
Les caractéristiques de ces abeilles hybrides « africanisées »
Les colonies dites « africanisées » montrent un comportement propre aux abeilles africaines : elles construisent leurs nids en pleine nature, hors des cavités traditionnelles, ce qui leur confère une capacité de défense accrue contre les prédateurs. Difficilement discernables à l’œil nu, ces hybrides diffèrent essentiellement par leur taille : Apis mellifera scutellata étant plus petite, mais la taille de ses hybrides peut varier selon le taux d’hybridation.
Lorsqu’elles piquent, ces abeilles perdent leur dard et une partie de leur abdomen, qui contient la glande à venin, mais elles laissent derrière elles des phéromones d’alarme. Ces molécules chimiques signalent à la colonie qu’une menace est présente, ce qui incite d’autres abeilles à venir piquer à leur tour. Ces signaux chimiques amplifient la capacité de ces colonies à attaquer en grand nombre, ce qui explique leur agressivité remarquable face aux menaces.
Leur faculté à s’adapter rapidement à leur environnement en fait des insectes très prolifiques. Elles résistent mieux aux maladies et peuvent effectuer plusieurs essaimes par an, ce qui leur permet de coloniser de nouveaux territoires ou de s’éloigner en cas de pénurie de ressources. Elles sont aussi capables de voler dans des conditions météorologiques difficiles, renforçant leur capacité de migration et de survie.
Les efforts pour freiner les évolutions problématiques
Les chercheurs travaillent sans relâche pour comprendre et contrer la menace que représentent ces abeilles agressives. Si des avancées ont été faites dans la compréhension de leur génétique, aucune solution définitive n’a encore permis de stopper leur expansion ou de réduire leur dangerosité. Une particularité importante réside dans la supériorité des gènes de l’Apis mellifera scutellata sur ceux des abeilles européennes, notamment parce qu’elle bénéficie d’un avantage lors de la période de développement. La reine africaine, en sortant de sa cellule un jour plus tôt que la reine européenne, élimine ses rivales et consolide sa domination. Elle peut ainsi produire jusqu’à 2000 œufs par jour, perpétuant la colonie. Pour limiter leur impact, les scientifiques tentent de cibler notamment la reproduction sexuée, en cherchant des solutions pour contrôler la reproduction des mâles.
Dans leur région natale, Apis mellifera scutellata doit faire face à une autre menace, un parasite venu d’Afrique du Sud, Apis mellifera capensis, qui agit comme un véritable parasite et complique leur survie.