Dans l’époque où la science n’avait pas encore éclairé la complexité des capacités animales, les oiseaux étaient souvent perçus comme des êtres manquant de discernement. Cette vision a alimenté diverses expressions populaires associant ces volatiles à la sottise ou à la légèreté d’esprit, telles que “cervelle de moineau”, “bécasse” ou “dinde”. Cet article explore l’origine de ces idées reçues, plus particulièrement celle de l’expression “tête de linotte”, ainsi que la perception de ce petit passereau, symbole d’insouciance depuis plusieurs siècles.
Que veut dire l’expression “tête de linotte” ?
Utilisée pour décrire une personne distrait ou peu attentive, la locution “tête de linotte” évoque un individu oublieux ou facilement égaré. Elle peut aussi être remplacée par des expressions comme “tête en l’air”. Aujourd’hui, cette tournure est généralement prise avec humour, mais autrefois, elle pouvait porter une connotation plus blessante, désignant quelqu’un de peu intelligent, naïf ou superficiel. Voici quelques exemples illustrant cette expression :
- “Je n’ai pas la chance d’être en bonne santé comme vous, ni d’avoir une mémoire de lynx. La seule consolation que je trouve, c’est votre gentillesse qui a su égayer mes journées à Paris.” (Voltaire, 1722)
- “Percenoix, qui était une véritable tête de linotte, n’avait rien remarqué et restait perplexe, parlant à tort et à travers comme une pie borgne, s’écoutant lui-même.” (Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, 1883)
- “Elle rejetait loin d’elle toute notion de respect ou de remords, effaçant de sa mémoire les commandements divins qui, longtemps, avaient pesé sur sa conscience légère et insouciante.” (Émile Goudeau, 1888)
- “C’est un véritable tête de linotte, un rêveur peu pratique, qui ne pense qu’à s’amuser et à flâner, tout en se déplaçant de droite à gauche sans but.” (Albert Cim, 1913)
- “Au fond, j’ai une tête de linotte et j’ai oublié votre adresse.” (François Vidocq, 1932)
Pourquoi utilise-t-on l’expression “tête de linotte” ?
Pour saisir le sens de cette formule, il faut en analyser la composition. En français, la tournure “tête de” est souvent utilisée de manière péjorative, comme dans “tête de mule” ou “tête de pioche”, pour désigner quelqu’un de peu intelligent. Le mot “tête” provient du latin “testa”, qui désignait à l’origine une coquille ou une enveloppe, puis, par extension, le crâne, siège de la pensée. Par le passé, la taille du cerveau était considérée comme un indicateur d’intelligence. L’analogie avec la linotte, un petit oiseau aux capacités modestes, repose sur cette idée : un crâne réduit serait synonyme de faiblesse mentale. Les préjugés antérieurs à l’égard de cet oiseau ont nourri nombre d’expressions dépréciatives telles que “cervelle de moineau” ou “cervelle d’oiseau”. Comme le soulignait Georges Ohnet : “Cœur d’ange, mais cervelle d’oiseau, elle passait sa vie à réparer les malheurs qu’elle avait causés par sa légèreté.” (Le Maître de forges, 1884). La culture populaire a souvent associé cette petite intelligence apparente à d’autres termes péjoratifs, comme “bécasse”, “dinde” ou “grue”, pour qualifier une femme naïve ou peu rusée.
Pourquoi la linotte plutôt qu’un autre oiseau ?
Avant d’approfondir, intéressons-nous brièvement à cette petite volaille. En ornithologie, la linotte est un passereau d’environ 13,5 cm, appartenant à la famille des fringillidés. Elle arbore un plumage gris fauve, avec des touches de rouge sur la tête et la gorge, surtout chez le mâle pendant la période de reproduction. Son nom fait référence au “lin”, une céréale qu’elle consomme, accompagné du suffixe “otte”, qui indique une version diminutive. Dans la tradition orale, la linotte est popularisée comme étant un oiseau qui chante agréablement, mais aussi qui a pour habitude de sauter partout en quête de nourriture, construisant ses nids rapidement et sans grande prévoyance, souvent à faible hauteur. Son mode de vie peu prudent expose ses petits aux dangers, renforçant sa réputation d’insouciance. Benjamin Constant écrit en 1814 dans ses Journaux intimes : “C’est une linotte, un nuage sans mémoire ni discernement.” La Comtesse de Ségur s’est elle aussi servie de cette image dans son ouvrage L’Auberge de l’ange-gardien (1888), où elle compare ces jeunes gens à des linottes, sans prévoyance ni réflexion.
Depuis quand existe l’expression “tête de linotte” ?
La première trace connue de cette expression remonte à 1611, dans le dictionnaire bilingue français-anglais de Randle Cotgrave. Ce dernier traduit la phrase “il a une teste de linotte” par “He hath but a light or giddie head of his owne”, signifiant “il a un esprit léger ou étourdi”. Bien que la formule ait été documentée au XVIIe siècle, l’idée d’étourdissement associée à la linotte existe probablement depuis bien plus longtemps. En 1690, Furetière l’inscrit dans son Dictionnaire universel : “On appelle aussi un homme de peu de raison, teste de linotte, parce que cet oiseau a la tête très petite.” La même année, le Dictionnaire de l’Académie française la mentionne aussi : “On désigne par cette expression une personne peu sensée, légère d’esprit.”
Linotte ou étourneau, quelle différence ?
Comme nous l’avons évoqué, la réputation de la linotte comme animal insouciant vient de son comportement négligent. La locution “siffler la linotte” apparaît d’ailleurs en 1694 dans le Dictionnaire de l’Académie, pour signifier “boire excessivement”. Animal au comportement changeant et désordonné, la linotte symbolise aussi l’individu imprévisible ou déséquilibré, un trait partagé avec l’étourneau. Le nom de ce dernier provient du latin “exturdire”, évoquant une attitude folle ou la confusion mentale, comme lorsqu’un oiseau est “ivre”. Dans la mythologie ornithologique ancienne, l’étourneau et la linotte étaient tous deux considérés comme des symboles d’indécision ou d’un esprit peu clair. Eugène Labiche raconte dans Célimare le bien-aimé (1863) : “Tu es un étourneau, tu m’écris sans m’envoyer ton adresse, sans te souvenir de venir me voir.”
Crédit photo : Pierre Dalous