Prendre la plus grosse portion d’un gâteau est une illustration concrète de l’expression “se tailler la part du lion”. Il est naturel de s’interroger sur la véracité de cette expression et, surtout, sur la raison pour laquelle le lion, en tant que symbole, s’empare sans contestation des meilleures parts. Depuis l’époque antique, cette figure de prééminence a alimenté de nombreux récits, symboles et tournures de phrases. En réalité, il serait sans doute plus approprié de parler “de se tailler la part de la lionne”. Voici pourquoi.
Quelle est la véritable signification de “se tailler la part du lion” ?
Ce proverbe évoque la tendance à s’approprier la majorité ou la meilleure partie d’une ressource ou d’un bien, en s’attribuant la portion la plus attractive. Par extension, on peut également entendre cette expression dans le sens de s’octroyer la portion la plus influente ou la plus prestigieuse, comme dans l’exemple “s’attribuer un empire”. Pour mieux illustrer cette idée, voici deux citations illustratives :
- “… il devait se faire une part du lion, celle réservée à la personne la plus importante.” (Honoré de Balzac, César Birotteau, 1837) ;
- “Le trompettiste, bien qu’ayant une tessiture limitée, domine par sa capacité à atteindre les notes aiguës, lui permettant ainsi de se tailler une belle part du marché.” (Laurent de Wilde, Monk, 1996).
Le lion, une figure de pouvoir et de royauté ?
Pour comprendre l’origine de cette expression, il est essentiel de dresser un portrait succinct du lion et de ses caractéristiques, qui ont façonné son symbole. Chez cette espèce, un mâle peut atteindre 2,50 mètres de long (du museau à la base de la queue) et dépasser 200 kilos. Sa stature impressionnante, combinée à une musculature remarquable, lui confère une puissance redoutable. D’un coup de patte, il peut infliger des blessures graves, casser des os ou mettre à terre une proie deux fois plus lourde que lui.
Pourquoi utilise-t-on l’expression “se tailler la part du lion” ?
Compte tenu de leur puissance, les lions dominent la chaîne alimentaire en Afrique et occupent la position de prédateurs supérieurs. Souvent considéré comme le roi de la savane ou de la jungle, il doit cette réputation à sa corpulence, sa force et la crainte qu’il inspire. En règnant en maître sur ses territoires, il ne laisse aucun autre animal lui disputer la viande fraîche qu’il s’est emparée. Son statut de chef de file dans son environnement naturel illustre parfaitement la signification de l’expression : s’accaparer la part la plus convoitée.
Le lion, symbole royal ou mythologique ?
De la réalité à la légende, la trajectoire du lion est jalonnée de symbolismes. Dès l’Antiquité, cette bête a été associée à la royauté. En Égypte ancienne, par exemple, les pharaons étaient représentés sous la forme de figures lionnes ou lionnes à tête humaine, comme le fameux Sphinx de Gizeh. Le lion, récompensé pour sa puissance et sa majesté, est devenu un emblème de souveraineté, de force et de courage. Cependant, il peut aussi symboliser l’arbitraire ou la domination totale, en raison de son rôle de prédateur dominant. Cette dualité a alimenté de nombreuses histoires et fables, reflétant les ambivalences de cet animal dans la culture humaine.
Origines historiques de l’expression “se tailler la part du lion”
Le proverbe trouve ses racines dans une fable de Jean de La Fontaine nommée “La génisse, la chèvre et la brebis en société avec le lion”, publiée en 1665. Dans ce récit, le lion s’octroie la totalité du gibier, déclarant que la première part lui revient parce qu’il est le roi, et que la seconde lui appartient par droit du plus fort, proposant même la troisième à son avantage. À travers cette narration, La Fontaine met en lumière l’arbitraire et l’abus de pouvoir. Il s’est lui-même inspiré de textes antiques, notamment :
· Le lion et l’onagre (Esope)
Dans cette fable grecque, datant probablement de 600 av. J.-C., le lion et l’onagre chassent ensemble, le premier utilisant sa force et le second sa rapidité. Une fois leur chasse terminée, le lion partage le butin, en s’attribuant la première part, puis la deuxième, sous prétexte de leur rang social. La morale souligne que la volonté du plus fort prime toujours, une idée récurrente dans ces récits.
· La vache, la chèvre et la brebis, en société avec le lion (Phèdre)
Ce conte de l’écrivain romain Phaedrus, datant de 14-50 apr. J.-C., raconte comment un lion, se joignant à une vache, une chèvre et une brebis, divise la chasse en parts. Le lion justifie ses parts à chaque étape en invoquant sa supériorité, illustrant ainsi la tyrannie des puissants. De telles histoires visent à dénoncer les abus de pouvoir et l’injustice.
Quand la formule est-elle devenue courante ?
Depuis l’Antiquité, la figure du lion est associée à la domination. La source ancienne d’« au lion, la part du lion » remonte à Esope, et c’est grâce à La Fontaine que cette image a été popularisée dans la culture française. Depuis, cette expression s’est intégrée dans le langage courant, notamment suite à son apparition dans “Notre-Dame de Paris” de Victor Hugo en 1832, où elle désignait alors une part totale ou partage intégral.
Et si… la “lionne” prenait le relais ?
Curieusement, dans la nature, ce ne sont pas toujours les mâles qui chassent, mais plutôt les lionnes. Ces femelles, en groupe, se montrent de redoutables prédateurs capables d’abattre de gros animaux comme les zèbres ou les buffles. Pendant que le mâle, lui, passe souvent la majorité de son temps à se reposer, c’est la lionne qui assouvit la hiérarchie en se servant en premier. Ainsi, même si l’image traditionnelle montre le roi des animaux en posture dominante, la réalité biologique montre que la véritable dynastie du chasseur appartient à la femelle. Pourtant, dans le langage, le fait que le mâle se taille la part du lion reste une image forte de suprématie, indépendamment de l’activité réelle de chasse.