Que ce soit en montant sur ses talons ou en se dre gourant sur ses grands équiments, la réaction reste identique : une posture de supériorité pour se défendre, quitte à faire preuve d’agressivité comme le ferait un gallinacé, illustration de l’expression. Se tenir dressé, se redresser ou se dresser sur ses ergots évoque, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, une tournure dont le sens a évolué au fil des siècles, tout en conservant la figure du coq et de sa nature combative en toile de fond.
Que représente réellement l’expression monter sur ses ergots ?
Le terme ergoter correspond à la manière de pinailler, de chipoter ou de discuter pour des détails insignifiants, souvent de façon un peu querellante. Dans le langage courant, l’expression monter sur ses ergots évoque la tendance à se montrer provocant, à réagir avec colère ou à afficher une attitude fièrement agressive. Il s’agit aussi de prendre position de manière fière ou de se défendre, manifestant une certaine arrogance. D’autres expressions similaires incluent “se dresser sur ses ergots” ou “se hisser sur ses ergots.” Dans le contexte animal, on emploie aussi l’expression monter sur ses grands chevaux. Voici cinq exemples illustrant diverses utilisations de cette locution et de ses variantes :
- “Nicole s’éleva sur la pointe des pieds, comme un jeune coq prêt à défendre son territoire.” (extrait d’Alexandre Dumas, Joseph Balsamo, 1846) ;
- “En allongeant ou en repliant ses membres, en se dressant sur ses ergots, il exhibait fièrement sa jambe, symbole de virilité, tout en se bombant le torse, dans une quête d’admiration.” (Léon Cladel, Ompdrailles, 1879) ;
- “L’animal s’apprêtait à partir lorsqu’il se retrouva à s’élever subitement sur ses ergots.” (Jules Janin, Contes, 1884) ;
- “Irritée, Minna se redressa sur ses ergots afin de répliquer à son interlocuteur.” (Romain Rolland, Jean-Christophe, 1904) ;
- “Tu aurais dû deviner que ce genre de plaisanteries n’a pas sa place avec un homme aussi irritable que moi… Tu comprends ? Si je commence à me dresser sur mes ergots, c’est que tu as dépassé les limites…” (Nonce Casanova, Le journal à Nénesse, 1911).
Qu’est-ce qui explique l’expression monter sur ses ergots ?
Pour saisir l’origine, il faut d’abord connaître la particularité de l’ergot chez les oiseaux galliformes mâles. Il s’agit d’un petit éperon recourbé situé à l’arrière du tarse, dur et pointu, utilisant cette excroissance comme arme dans les combats. Dans la littérature, cette notion est souvent associée au coq, voire parfois à la poule (certains en étant également équipés), dans un contexte de lutte ou de joute, comme le montrent ces trois citations :
- “Leurs ergots puissants sont faits davantage pour assurer leur survie que pour le combat.” (Jules Michelet, L’oiseau, 1856) ;
- “Les poules se disputaient âprement les pissenlits, avec une fougue qui faisait trembler la basse-cour, grâce à leurs ergots acérés et leur esprit combatif.” (Émile Zola, La faute de l’Abbé Mouret, 1875) ;
- “Comme un ergot de coq de combat, prêt à défendre son territoire.” (Blaise Cendrars, Bourlinguer, 1948).
Ces ergots servent principalement aux coqs pour se battre afin de gagner les faveurs des femelles. Lorsqu’ils sont associés au verbe monter (pour indiquer qu’il se dresse ou se hisse), cette image évoque clairement une attitude belliqueuse ou provocante. C’est de là qu’est née l’expression monter sur ses ergots.
Depuis quand cette expression est-elle utilisée ?
La première trace de cette locution apparaît dans le Dictionarium de Robert Estienne publié en 1531: “Ferocio ferocis […] Senorgueillir, Deuenir fier, Senfler contre vng autre, Monter sur ses ergos.” Il faut savoir que le terme ergot provient de l’ancien français argot, le suffixe -arg désignant une chose pointue. Des mots latins tels que argutus (vif, piquant) ou ergotis (argutie, dispute) ont également alimenté cette racine. La première définition enregistrée par l’Académie française en 1694 précise que monter sur ses argots signifie « s’élever dans la parole ou l’attitude avec colère ou audace ». Un exemple illustratif de l’usage ancien du mot argot est : “Subtilz renards et grands mangeurs d’images, Pour haut monter, contrefont les bigots, Puis, quand ils sont huchez sur leurs argots, Au monde font de merveilleux dommages.” (Guillaume Crétin, 1460-1525).
L’expression a-t-elle d’autres significations à travers le temps ?
Au fil des siècles, l’interprétation de monter sur ses ergots a connu des nuances selon les contextes. Voici quelques illustrations historiques :
- Fendre l’ergot signifie partir rapidement. C’est le cas dans une œuvre de Raphaël du Petit Val (1576) : “Philippon (…) i’iray soudainement querir mon maistre : m’asseurant tant de sa colere, que si tu ne fens l’ergot bien vistement, demain tu seras guari de tous tes maux.” ;
- Être sur ses ergots veut aussi dire manifester de la fierté ou de l’impétuosité. Selon le Dictionnaire Littré, cela évoque une humeur hautaine : “Junon donc revenait d’Argos, Dame toujours sur ses ergots.” (Paul Scarron, 1648) ;
- Se dresser sur ses ergots, dans un ton de défi ou de menace. Le même dictionnaire indique que cela exprime un comportement impérieux ou agressif : “La femme, montant sur ses ergots : Je t’ai tout apporté, disoit-elle en colère…” (Samuel Chappuzeau, 1662) ;
- Figurativement, quelqu’un qui monte sur ses ergots menace ou parle avec audace. Le Dictionnaire Furetière de 1690 précise que cela désigne un accès de colère ou de prétention ;
- Prendre une posture arrogante et prête à riposter. Par exemple, dans Eugénie Grandet (1834), Balzac écrit : “J’ai trouvé ça, moi, en me dressant sur mes ergots.” ;
- Enfin, dans l’ouvrage Jérôme Paturot (1842), Louis Reybaud évoque quelqu’un se mettant en valeur en “se dressant sur ses ergots”.
À quoi servent réellement les ergots du coq ?
Les ergots sont des protubérances osseuses situées à l’arrière du tarse chez les galliformes, notamment chez les coqs. Leur taille peut varier, étant souvent très pointus ou effilés chez les mâles plus âgés, qui ont tendance à les voir s’allonger avec le temps. Ces excroissances apparaissent généralement vers l’âge de 6 mois et continuent à croître avec l’âge. Leur présence contribue au dimorphisme sexuel, permettant aux mâles de lutter ou de se défendre lors des affrontements. Ces éperons peuvent aussi servir de support pour garder l’équilibre lors de combats ou de parade, mais peuvent potentiellement blesser la femelle lors de ces relations. D’ailleurs, il est conseillé de limer ces ergots pour prévenir tout risque de blessure aux poules.
Les combats de coqs sont-ils encore monnaie courante ?
Depuis l’Antiquité, la lutte entre coqs a été exploitée par les humains pour organiser des combats spectaculaires. Cette pratique, datant de plusieurs millénaires avec la domestication du Gallus gallus, a été perfectionnée par la sélection génétique pour produire des éleveurs avides de luttes. En certains endroits du monde, notamment en Asie du Sud-Est ou en Amérique centrale, ces combats sont toujours organisés dans des arènes appelées gallodromes, où souvent les ergots naturels sont remplacés par des prothèses métalliques en lame ou en pointe, ce qui accentue la dangerosité et la violence de ces affrontements. Ce type de spectacle, considéré comme cruel et souvent illégal, est cependant toléré dans certains pays, comme la France, où il n’est autorisé que dans des régions où cette tradition persiste depuis longtemps, telles que le Nord, le Pas-de-Calais, les Antilles ou La Réunion.