Pour évoquer un état d’esprit empreint de mélancolie, l’expression “avoir le bourdon” se réfère à une sensation de tristesse profonde. Bien que le terme semble étrange, il ne désigne pas simplement un insecte rampant ou volant, comme on pourrait le croire. Cependant, pour comprendre pleinement cette locution, il est essentiel de préciser ce que signifie le mot “bourdon” dans ce contexte.
Quelle est la véritable signification de “avoir le bourdon” ?
Utilisée dans le vocabulaire familier, cette expression évoque une perte de motivation, un sentiment de déprime ou une humeur morose. Elle rejoint d’autres phrases françaises exprimant la déprime, telles que : ressentir le blues, avoir le moral en berne, ou encore broyer du noir. Certaines expressions dans d’autres langues, comme le néerlandais qui parle de “se retrouver dans le puits” ou “dans sac et cendre”, traduisent aussi cette idée de profonde tristesse. Voici quelques exemples illustrant l’utilisation de cette expression :
- “Par certains soirs, lorsque le sentiment de tristesse le prenait, il se mettait à prononcer des paroles étranges…” (Céline, *Mort à crédit*, 1936) ;
- “Je passais tout mon temps à me sentir triste, même si tout semblait aller bien” (René Fallet, *Banlieue sud-est*, 1947) ;
- “J’ai assez d’argent et de biens pour être heureux, mais lorsque je ne travaille pas, je me sens profondément déprimé” (Henri Lepage, *Pas de pitié pour les caves*, 1955) ;
- “Le temps s’écoulait rapidement, mais j’étais envahi par la tristesse en voyant mes amies partir en vacances” (Michèle Loew Jacques, *Histoire de Michèle*, 1971) ;
Mais quel est le sens précis de “avoir le bourdon” ?
Pour saisir l’origine de cette expression, il faut d’abord comprendre ce que désigne le mot “bourdon”. Plusieurs explications possibles existent :
- Un insecte hyménoptère. Appartenant à une famille d’insectes caractérisés par leur corps massif, leur taille supérieure et leur corpulence velue, ce groupe inclut le bourdon, un proche parent de l’abeille. Son nom vient du latin *hymen*, signifiant membrane, en référence à ses ailes. Le bourdon butineur est ainsi une espèce d’insecte connu pour son bruit particulier, semblable à un bourdonnement constant.
- Une erreur d’imprimerie. Dans l’univers de l’édition, le terme désigne aussi une omission accidentelle de lettres, de mots ou de phrases lors de la mise en page. Par exemple, une erreur typographique peut inverser le sens d’un titre, comme dans le cas célèbre où une omission a transformé “L’union des deux empereurs” en “L’un des deux empereurs”, avec des conséquences importantes.
- Une cloche lourde à son grave. Généralement, un bourdon est la plus imposante cloche d’une série, pesant souvent plusieurs tonnes. La cathédrale Notre-Dame de Paris possède notamment ce type de cloche géante, dont le poids atteint 13 tonnes, fondu en 1683, symbolisant souvent le son solennel lors de grandes évènements ou de moments de deuil.
Origine de l’expression “avoir le bourdon”
Même si l’origine exacte reste obscure, plusieurs hypothèses cherchent à expliquer cette expression et le sentiment de tristesse qu’elle évoque :
- Une association avec le bruit du bourdon. Le bourdonnement continu de l’insecte pourrait faire penser au bruit sourd dans la tête d’un individu déprimé, ou à un sifflement perceptible dans les oreilles lors d’une fatigue auditive ou mentale. L’expression illustrerait alors une sensation sonore désagréable qui engendre de la lassitude.
- L’interprétation liée à l’imprimerie. Le bourdon symbolise une erreur typographique, souvent considérée comme une omission embarrassante ou grave. Par analogie, le sentiment de “bourdon” pourrait refléter le malaise ou l’anxiété ressentie par les imprimeurs en cas d’erreur coûteuse, par exemple lors de la célèbre erreur de 1631 sur la Bible du roi Jacques.
- Une référence à la grosse cloche grave. En raison de son rôle lors des cérémonies et événements solennels, la cloche lourde pourrait symboliser le chagrin ou la tristesse profonde, employée lors de cérémonies funéraires ou commémoratives. Ainsi, “avoir le bourdon” serait une façon figurée d’évoquer le sentiment d’abattement ou de deuil.
Le sens caché derrière “avoir le bourdon”
Au-delà de ces trois interprétations, certains chercheurs évoquent d’autres possibles origines :
- En musique, le bourdon désigne une note de basse continue, essentielle dans certains instruments, et pourrait avoir une connotation de monotonie ou de lourdeur mentale évoquant la déprime ;
- Le “bourdon” fait aussi référence au bâton de pèlerin, souvent orné, que l’on porte à la fin d’un voyage. La mélancolie du pèlerin après une longue route peut alors être liée métaphoriquement à un sentiment de tristesse ou de nostalgie ;
- Ce bâton, appelé aussi “mulet”, tire son nom du latin *burdo*, signifiant “mulet”. La référence évoque l’image de l’animal de bât, symbole de l’effort et de la fatigue, renforçant l’idée de tristesse ou de lassitude liée à un mode de vie routinier ou chargé de sacrifices.
Peut-on transmettre le “bourdon” à autrui ?
Semblable à une humeur contagieuse, la tristesse ou le mal-être peuvent s’extérioriser et influencer les autres. La locution “donner le bourdon” est souvent employée pour décrire l’effet d’un discours ou d’une atmosphère morose sur une personne. Voici quelques exemples illustrant cette dynamique :
- “Ne fais pas cette tête ! Tu me fileras le bourdon rien qu’en te regardant” (San Antonio, *Fais gaffe à tes os*, 1956) ;
- “Ce qui me mettait surtout de mauvaise humeur, c’était la pensée de ne plus jamais revoir cette enfant” (Michel Audiard, *Le terminus des prétentieux*, 1968) ;
- “Je devenais impatient à force de vivre des expériences frustrantes : le premier qui me donnait le bourdon, le second qui m’insultait” (Marcel Diennet, *Le petit paradis*, 1973) ;
- “L’accordéon me fout la déprime. Ça me rappelle des souvenirs. Dès que je l’entends, je ressens une tristesse infinie” (François Bégaudeau, *Entre les murs*, 2006).