Souvent perçue comme une expression critique, l’expression “se suivre comme des moutons” désigne ceux qui se laissent guider ou influencer sans prendre le temps de réfléchir par eux-mêmes. Son origine remonte au Moyen Âge, et elle éclaire la manière dont les moutons évoluent naturellement en troupeau, suivant aveuglément leur leader, en particulier la brebis la plus âgée. Cette image invite aussi à remettre en question les idées préconçues selon lesquelles ce comportement serait idiot ou irrationnel. En réalité, des études approfondies montrent que cette tendance mimétique obéit à une logique strictement rationnelle, voire utile.
Que veut dire vraiment “se suivre comme des moutons” ?
Lorsque l’on évoque cette expression, il s’agit de décrire des individus qui obéissent sans réflexion autonome, adoptant les choix ou opinions de leurs voisins sans questionnement. On peut aussi parler de “suivi comme un mouton de Panurge”, ou évoquer une personne ayant une “âme moutonnière”, pour souligner leur tendance à suivre la majorité ou à se conformer à l’opinion commune sans exercer leur jugement personnel. En termes plus figurés, cela désigne ceux qui capitulent face à la groupe ou à une tendance sans analyser la situation. Le terme “mouton de Panurge” qualifie un suiveur qui agit sans esprit critique, se laissant emporter par la masse. Le concept de “panurgisme”, lui, caractérise une attitude passive, conforme, souvent sous influence ou par désir de faire comme tout le monde. Voici trois exemples illustrant cette expression ou ses variantes :
- “Ce dernier coup de théâtre, habilement orchestré, a entraîné dans sa chute ceux qui, sans en saisir la portée, suivirent la majorité.” (Eugène Scribe, Lacamaraderie ou La courte-échelle, 1837) ;
- “Ce sont deux individus sportifs et peu malins, qui imitaient certains risques en essayant de suivre le mouvement de quelques aventuriers.” (Romain Rolland, La Révolte, 1907) ;
- “Il est surprenant de voir cet homme, ayant voyagé, étudié et exercé plusieurs métiers, finir par devenir un suiveur en musique, à l’image d’un mouton de Panurge.” (Romain Rolland, La Révolte, 1907).
D’où vient cette expression “se suivre comme des moutons” ?
Les moutons sont connus pour leur comportement grégaire, c’est-à-dire leur tendance naturelle à former des groupes. Cette caractéristique facilite leur déplacement en troupeaux, notamment dans des pâturages non clos. Leur organisation hiérarchique, centrée autour d’un leader, souvent la brebis veillante, pousse chaque animal à suivre le groupe même en cas de danger. Si un membre panique, la peur se propage rapidement, sans que chacun évalue la situation, ce qui peut conduire à des tragédies comme des troupeaux qui finissent au fond d’un ravin après une attaque d’un prédateur. Cette formation instinctive en masse a donné naissance à l’image du mouton qui suit aveuglément, d’où l’expression “se suivre comme des moutons”.
Depuis quand on utilise cette expression ?
Le premier écrivain à critiquer cette tendance grégaire est François Rabelais. Dans son ouvrage du XVIe siècle, Quart-Livre (1552), il narre une anecdote avec Panurge et un marchand d’ovins, Dindenault. Lors d’une dispute à bord d’un bateau sur le prix des moutons, Panurge, pour se venger, jette une de ses moutons à la mer, ce qui entraîne la panique et la noyade de toute la troupe, Dindenault inclus. La scène illustre comment, face à la panique collective, les moutons suivent aveuglément, même vers leur perte : “Le marchand, effrayé de voir ses moutons se jeter dans la mer, tenta en vain de les retenir. Finalement, il saisit un mouton par la toison pour tenter de sauver le reste, mais ceux-ci emportèrent le marchand dans leur chute, aboutissant à leur propre noyade.”
Caractéristiques du mouton : docile, fidèle, influençable, et autres traits
Bien avant que l’image du mouton comme symbole de suivisme ne soit popularisée, cet animal était déjà associé à plusieurs qualités et symbolismes. Dans l’Ancien Testament, il représente souvent le peuple élu, sous la figure d’un troupeau guidé par un berger, le Seigneur. De nombreux dictionnaires de langue ancienne décrivent le mouton comme un symbole d’innocence, de douceur et de docilité, facilement influençable, voire manipulé. Par exemple, le Dictionnaire universel de Furetière (1690) évoque cette caractéristique : “Se dit des hommes innocents et faciles à conduire, qui suivent sans se poser de questions, comme un mouton suit un autre.” La même idée est renforcée par le Dictionnaire de l’Académie française (1694), précisant que celui qui “fait comme les moutons” imite simplement ce qu’il voit. Par extension, le mouton a longtemps été utilisé pour caricaturer une personne impressionnable et peu critique, comme le montrent ces citations :
- “Elle possède une douceur naturelle et, par habitude moutonne, ne réagit pas face à ceux qui cherchent à la manipuler.” (Stendhal, De l’amour, 1822) ;
- “Même la tente la plus simple, toute moutonne, pouvait froisser cette femme si celui-ci osait avoir une opinion différente.” (Victor Hugo, Les Misérables, 1862) ;
- “Ce n’était plus lui qui comptait, mais la réaction des moutons réunis, bêlant de contentement à l’annonce de la nouvelle.” (Paul Vialar, L’Hallali, 1953).
Se suivre comme des moutons : une forme d’intelligence ?
Il peut sembler paradoxal, mais le comportement instinctif de groupe des moutons lors d’une menace traduit une forme de stratégie de survie. Leur réaction précipitée, souvent perçue comme irrationnelle, est en réalité une réponse efficace pour préserver le troupeau. Des recherches ont montré que cette imitation collective permet à chaque mouton d’optimiser son déplacement face aux dangers, en réduisant le délai de regroupement. La peur, chez tous les êtres vivants, est un mécanisme de protection vital, qui pousse à suivre le groupe pour éviter le danger. Sans cette réponse instinctive à la menace, il est probable que l’espèce aurait disparu. En somme, ces comportements, même s’ils semblent simplistes, illustrent une capacité d’adaptation intelligente face aux risques de prédation.