Origines et réalité de l’expression ‘Muet comme une carpe’

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La célèbre expression “être silencieux comme une carpe” soulève plusieurs interrogations. Pourquoi associe-t-on souvent un silence profond à ce poisson ? D’où provient cette comparaison et pourquoi a-t-elle été choisie en particulier pour la carpe, et non pour une autre espèce marine ? De plus, peut-on vraiment dire que la carpe ne produit aucun son ? Voici quelques éclaircissements.

La signification de l’expression “être silencieux comme une carpe”

Cette locution désigne une personne qui ne souhaite pas parler, qui reste discrète ou qui choisit de ne rien dire dans une situation donnée. Elle peut s’appliquer aussi à quelqu’un qui demeure impassible face à une question ou qui refuse de répondre à une interrogation. Elle peut aussi qualifier une personne qui conserve un secret, ne le dévoilant pas à autrui. Bien que cette expression ait ses variantes comme “muet comme une tombe” ou “muet comme un sphinx”, la formule centrée sur la poisson est la plus courante en français. À l’étranger, notamment en anglais ou en allemand, l’équivalent est souvent “silencieux comme une tombe” ou “silencieux comme un poisson”.

Pourquoi associe-t-on cette expression à la carpe ?

Au premier abord, il est naturel de penser que les poissons ne peuvent pas produire de sons, puisqu’ils ne possèdent pas de cordes vocales ; leur communication passe principalement par d’autres moyens. L’idée de faire référence à la silence du monde aquatique trouve d’ailleurs un fondement dans la conception de Jacques Cousteau qui considérait les profondeurs marines comme un univers paisible et silencieux. La question est alors : pourquoi la carpe en particulier ? Selon Alain Rey, linguiste spécialiste des expressions françaises, deux origines possibles expliquent ce choix :

  • La première tient à la structure anatomique du poisson. Antoine Furetière, dès 1690, avançait que la carpe, ne disposant pas de langue, ne peut pas parler, ce qui pourrait symboliser le silence absolu.
  • La seconde hypothèse se base sur le comportement de l’animal. En effet, la carpe a tendance à souvent sortir la tête hors de l’eau en ouvrant grand la bouche, mais sans faire de son. Ce geste, associé à sa manière de “bailler”, aurait pu inspirer cette comparaison au fil du temps.

Origines historiques de la formule “être muet comme une carpe”

Ce proverbe apparaît dans la littérature dès le début du XVIIe siècle, avec la formule initiale “muet comme un poisson”. Elle est notamment présente dans l’œuvre de Rabelais en 1612. Au fil des siècles, l’expression évolue : Jules Verne lui donne une nouvelle tournure en évoquant la réaction d’un groupe face à des regards inexpressifs, tandis que d’autres écrivains, comme George Sand, utilisent des variantes telles que “muet comme une tanche”. De nombreux auteurs ont enrichi cette locution, la popularisant dans sa forme actuelle. Parmi eux :

  • Un passage d’Alphonse de Launay en 1883 où il évoque une personne “muette comme une carpe”.
  • Jeanne Humbert, en 1932, décrit la réserve d’un groupe par cette expression quand ils restent silencieux face à une situation.
  • Roger Martin du Gard, en 1937, mentionne la carcasse d’un individu “muet comme une carpe” lors d’un moment de tension.

Les poissons, véritables artisans du son ?

Il est communément pensé que les poissons sont entièrement silencieux, mais en réalité, ils peuvent produire une multitude de sons. Bien que dépourvus de cordes vocales, ils ont développé d’autres moyens pour communiquer, notamment par des bruits qu’ils créent avec leur corps ou leurs organes spécialisés. Les chercheurs recensent aujourd’hui plus de 1500 bruits variés chez différentes espèces. Certains claquent leurs mâchoires ou frottent leurs dents, comme le poisson-clown, tandis que d’autres utilisent leur vessie natatoire pour produire des sons en contractant certains muscles. La vessie, un organe qu’ils gonflent ou dégonflent selon les besoins, sert aussi à élaborer des bruits destinés à marquer leur territoire, attirer lui-même des partenaires ou alerter leurs congénères. La majorité du temps, ces vibrations sonores accompagnent des comportements de reproduction ou de défense, plutôt que l’expression d’un véritable langage. En revanche, la carpe, elle, communique principalement par l’odorat, se passant de bruits pour se faire entendre ou se faire connaître.

La carpe possède-t-elle une langue ?

Il est souvent supposé à tort que toutes les espèces de poissons en possèdent une, mais ce n’est pas le cas. Certains types de poissons, comme les poissons-papillons ou les poissons-éléphants, ont une langue équipée de dents, leur permettant de manipuler la nourriture, grâce à leur structure buccale particulière. Quant à la carpe, Aristote expliquait déjà qu’elle possède une partie du palais charnue, ressemblant à une langue à première vue. Cependant, aucun organe linguinal ne se trouve chez elle ; ses barbillons — ces filaments sensoriels situés autour de la bouche — jouent un rôle crucial dans l’alimentation, lui permettant de goûter et d’aspirer ses aliments sans mastiquer. La carpe, donc, n’a pas besoin d’une langue pour se nourrir ou communiquer, ce qui prouve que le silence évoqué dans l’expression ne concerne pas la capacité de produire des sons, mais plutôt le comportement muet de l’animal.