Tous connaissent l’expression courante “poser un lapin”, qui signifie généralement manquer un rendez-vous ou faire faux bond à quelqu’un. Mais d’où vient cette expression ? Pourquoi associe-t-on cette action à un animal comme le lapin ? Et qu’évoque concrètement le fait de « poser » un lapin ? La réponse se cache derrière une histoire longue, remontant au XIXe siècle, remplie d’images surprenantes et de significations multiples. Nous allons explorer les origines et la logique derrière cette expression populaire.
Que signifie concrètement “poser un lapin” ?
Le sens actuel de cette locution désigne le fait de ne pas se présenter à un rendez-vous prévu à l’avance, en laissant la personne attendue sans prévenir, et en manquant à ses engagements. Concrètement, cela revient à faire faux bond à quelqu’un ou à disparaître sans explication. Pour illustrer cette pratique, voici quelques exemples issus de la littérature et des témoignages :
- “Il est hors de question que vous me posiez un lapin, lui expliqua le relieur. Imaginez que je quitte cette pièce, et que ce soir vous manquiez le rendez-vous, moi je voudrais vous retrouver.” (Jules Romains, Les Hommes de bonne volonté, 1932) ;
- “J’ai rencontré Robert récemment, il m’attendait. Je craignais que vous me posiez un lapin,” m’a-t-il confié dans son journal d’écolière. (Puberté, année 1933) ;
- “Quelle méfiance, comme si j’avais l’habitude de me défiler ou de poser des lapins !” (Martial Maury, Le secret des Restiac, 2006).
D’où vient cette expression “poser un lapin” ?
Si aujourd’hui cette formule évoque principalement un rendez-vous manqué, ses origines étaient autrefois très différentes. À la lecture littérale, “poser un lapin” impliquerait de soulever un animal pour le placer quelque part, ce qui semble plutôt absurde. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer cette locution, mais seules deux semblent largement retenues. La première concerne le monde des diligences au XVIIIe siècle, la seconde fait référence à un argot lié à la prostitution. Découvrons-les.
La première origine : le monde des diligences
Dans le dictionnaire de la langue verte, publié en 1907, Hector France rapporte que cette expression proviendrait du XVIIIe siècle, plus précisément de 1783, à l’époque où circulaient encore des diligences. À cette période, certains conducteurs auraient adopté une astuce pour arrondir leurs fins de mois : faire monter des voyageurs clandestins à bord, à tarif réduit. Ces passagers secrets, appelés “lapins”, étaient dissimulés sous une bâche avec leurs bagages pour échapper au regard des contrôleurs et des autorités. En volant ainsi quelques revenus de cette façon, les cochers se retrouvaient à évoquer leur journée en disant qu’ils avaient “posé des lapins” à leur employeur ou à la recette. L’utilisation du terme “lapin” venait donc à l’origine de cette pratique clandestine.
La deuxième origine : l’argot des filles de joie
Au XIXe siècle, le mot “lapin” désignait aussi une personne qui ne réglait pas ses dettes ou ne payait pas ses services. Au sein de l’univers des courtisanes, cette expression est reprise pour qualifier un client qui quittait précipitamment sans régler la facture. À cette époque, une formule spécifique, “faire cadeau d’un lapin”, apparaissait dans le langage courant, visant un homme qui s’en allait en laissant la travailleuse sans rétribution. Le “poseur de lapin” était alors une personne qui quittait sans payer pour un service. Le dictionnaire d’argot de 1899, de Lorédan Larchey, confirme cette origine, en le définissant comme un homme qui quitte une femme sans payer. Cette image de quelqu’un qui parte subitement sans régler sa note s’est progressivement associée à l’idée de manquer un rendez-vous, d’où la trace dans la langue.
Pourquoi parle-t-on d’un “lapin” ?
Mais qu’est-ce qui relie cet animal aux longues oreilles au comportement souvent discret avec la notion de rendez-vous manqué ? Selon Larédan Larchey, c’est en partie lié à un jeu pratiqué lors des foires, consistant à viser un lapin posé sur un tourniquet. Définit comme un défi censé paraître simple mais que l’on ne gagne presque jamais, ce jeu symbolisait la promesse d’un gain improbable, jamais honoré par celui qui pose le lapin. Certains récits ancien attestent d’un usage métaphorique, où l’expression évoque la tromperie ou la dérobade, comme dans cette anecdote rapportée par un ancien policier : “Certains riches, évitant de payer ou de faire des cadeaux, se montraient aussi imprévisibles qu’un poseur de lapins lors d’un jeu de foire.”
Date d’émergence de l’expression “poser un lapin”
Dans sa forme moderne, le sens de “ne pas honorer un rendez-vous” semble avoir pris forme à la fin du XIXe siècle, notamment dans le milieu étudiant. À cette époque, on employait l’expression “laisser poser” pour signifier que l’on faisait attendre quelqu’un sans y aller soi-même. La formule est attestée dans le dictionnaire de Georges Delesalle en 1896, qui évoque deux sens principaux : d’une part, “donner un rendez-vous et ne pas y apparaître”, et d’autre part, “ne pas payer une fille lors d’un rendez-vous galant”. La trace la plus ancienne remonte à 1884 avec un ouvrage de Joseph Caraguel intitulé Le Boul’Mich, mentionnant “la visite de digestion aux tables des femmes à qui l’on a posé un lapin”. La popularité de cette expression se confirme dans le dictionnaire Larousse de 1992, qui élargit son usage à tout manquement à un engagement ou une promesse.