Présentes dans la majorité des mers à travers le monde, certaines méduses ont un trait exceptionnel qui fascine autant qu’il intrigue : leur longévité apparente, voire leur immortalité. Le mécanisme derrière cette capacité à éviter le vieillissement a captivé les scientifiques, et en 2022, des études ont dévoilé les secrets génétiques qui permettent à ces créatures de se régénérer constamment. Voici le portrait d’un organisme dont la complexité génétique défie notre compréhension du cycle de vie.
Qu’est-ce qui définit la méduse immortelle ?
Ces méduses appartiennent au genre Turritopsis, regroupant des cnidaires hydrozoaires de la famille des Oceaniidae. Contrairement à d’autres méduses, elles possèdent une structure particulière appelée velum, un repli similaire à un entonnoir qui modifie le diamètre de l’orifice de leur cavité interne. Cette adaptation leur permet d’accroître la puissance de leur propulsion, facilitant leur déplacement dans l’eau, tout en contrôlant la quantité d’eau qu’elles aspirent. Le terme « méduse immortelle » s’applique en réalité à deux espèces distinctes :
- Turritopsis nutricula : identifiée en 1857 par le biologiste John McCrady, mesurant entre 4 et 5 mm ;
- Turritopsis dohrnii : découverte accidentelle en 1988 par Christian Sommer, un étudiant en biologie marine, avec une taille d’environ 1 cm de diamètre.
À quoi ressemblent ces méduses ?
Les deux espèces présentent une forme de cloche translucide, avec un estomac rouge vif visible en leur centre. Turritopsis nutricula adapte son apparence selon son environnement : dans les eaux chaudes, elle possède 8 tentacules, mais dans des eaux plus tempérés, ce nombre peut atteindre une dizaine voire une vingtaine. Quant à Turritopsis dohrnii, ses tentacules varient généralement entre 8 (chez les jeunes) et près de 90 chez les adultes, avec une longueur pouvant comporter une centaine de filaments.
Où peut-on observer ces méduses ?
Les habitats de ces méduses diffèrent selon leur espèce d’origine. La Turritopsis nutricula fréquente principalement la mer des Caraïbes, alors que la Turritopsis dohrnii évolue en Méditerranée et dans les eaux japonaises. Cependant, leur présence en mer s’étend de plus en plus, leur capacité d’adaptation leur permettant d’explorer une large gamme d’habitats océaniques. On les retrouve aussi bien dans les zones portuaires, accrochées aux coques des bateaux, qu’au fond des océans. Leur alimentation se compose essentiellement de plancton, de minuscules mollusques, de larves et d’œufs de poissons.
Pourquoi leur prolifération devient préoccupante ?
Ces méduses commencent à susciter l’inquiétude en raison de leur croissance rapide dans différents écosystèmes marins, ce que certains chercheurs qualifient d’« invasion silencieuse à l’échelle mondiale ». Leur capacité à se régénérer indéfiniment, liée à leur immortalité, est un facteur clé de cette expansion. Cependant, des éléments tels que le changement climatique, la surpêche de leurs principaux prédateurs ou encore leur dispersion involontaire par le biais de transports maritimes, notamment via les ballasts de navires, contribuent également à leur propagation.
La méduse est-elle vraiment immortelle ?
Les deux principales espèces, Turritopsis nutricula et Turritopsis dohrnii, partagent une capacité exceptionnelle : la faculté de se rajeunir. Cette faculté a été démontrée dans les années 1990, après de nombreuses recherches. Ces méduses peuvent revenir à leur stade de polype — la première étape de leur cycle de vie — à partir de leur forme adulte, inversant ainsi leur vieillissement. Lorsqu’elles sont confrontées à un stress, une blessure ou simplement à l’âge, elles peuvent reconfigurer leurs cellules défaillantes en cellules neuves, prolongeant indéfiniment leur existence. Une étude de 2011 à l’université de Kyoto a même observé un rajeunissement répété dix fois de suite chez une même individu. Toutefois, en pratique, la majorité d’entre elles meurent avant de bénéficier de leur potentiel de régénération, principalement victimes de prédateurs ou de maladies.
Quelle est la trajectoire de vie de cette créature ?
Le cycle vital de la méduse immortelle comprend deux phases principales, communes aux hydrozoaires :
- Le polype, une forme fixe attachée au fond marin, se reproduit en produisant une colonie de petites méduses par bourgeonnement ;
- L’adulte, lui aussi fixé au substrat, se déplace et se reproduit sexuellement. La fécondation produit une larve qui dérive jusqu’à trouver un endroit où s’ancrer, donnant naissance à un nouveau polype. Ce processus peut se répéter indéfiniment, même après la maturité sexuelle. En cas de blessure ou de vieillesse, l’adulte peut retrouver rapidement son stade juvénile pour repartir à zéro, ce qui est impossible chez d’autres hydrozoaires qui meurent après leur maturité.
Qu’est-ce qui explique l’immortalité de cette espèce ?
Cette capacité de rajeunissement continue en fait une cible privilégiée pour la recherche en biologie, notamment dans la lutte contre le vieillissement et les maladies associées. En 2022, des chercheurs espagnols ont analysé le génome de ces méduses pour comprendre leur longévité exceptionnelle. Leur étude, comparant leur ADN à celui d’une espèce semblable mais morte à l’âge adulte, a révélé des différences significatives dans la structure génétique. Ces variations génétiques sont liées à une meilleure capacité à réparer l’ADN, à renouveler les cellules souches et à limiter les dommages liés aux éléments toxiques. La dédifférenciation des cellules, un processus clé dans leur rajeunissement, est encouragée par des modifications dans l’expression génique. Plus précisément :
- Les Turritopsis nutricula disposent de deux fois plus de copies de gènes dédiés à la réparation de l’ADN que leur cousin mortel ;
- Leur production accrue de protéines protectrices empêche la détérioration des extrémités chromosomiques, appelées télomères, et ralentit la division cellulaire ;
- Ces mécanismes travaillent en synergie pour permettre aux méduses de renouveler indéfiniment leurs cellules et d’éviter le vieillissement.
Comprendre ces processus ouvre des perspectives prometteuses pour la recherche médicale, notamment dans le traitement des maladies liées à l’âge, comme certains cancers ou neurodégénérescences. Néanmoins, la quête d’une immortalité humaine reste pour l’instant un rêve inaccessible.