Lorsqu’on souhaite décrire une figure masculine influente au sein d’un groupe familial ou communautaire, on emploie souvent l’expression de « mâle dominant » ou encore « mâle supérieur ». Ce terme évoque une animal qui détient une position de supériorité sur ses congénères dans tous les aspects. Cependant, cette notion a été sujette à débat, et même son inventeur a été amené à remettre en question ses propres conclusions. Examinons en détail la signification réelle de cette notion.
La naissance du concept par l’étude des loups
Dans la classification animale, plusieurs espèces vivantes vivent sous une organisation hiérarchique où un leader contrôle la cohésion du groupe. Ce chef, souvent appelé « mâle alpha », possède une autorité incontestée sur la répartition des ressources, la reproduction, et souvent la hiérarchie sociale. Il est généralement le plus puissant physiquement et, par conséquent, le plus respecté, sa position étant souvent acquise à travers des défis ou des luttes de dominance. Il peut aussi risquer sa vie pour maintenir sa place.
C’est en analysant des meutes de loups (Canis lupus) dès 1947 que le biologiste Rudolf Schenkel a découvert que ces groupes suivaient une hiérarchie précise. La tête de la meute se composait d’un mâle et d’une femelle chefs de groupe, continuant à dominer par une rivalité bien régulée. La femelle de l’individu dominant est appelée « femelle alpha » et les autres membres du groupe occupent des rangs inférieurs, comme « bêta » ou « oméga » pour les subordonnés. La figure du couple alpha exerce un contrôle moral et physique pour asseoir son autorité. La théorie selon laquelle le mâle dominant aurait un statut naturel et inébranlable s’est développée dans les publications telles que « The Wolf : Ecology and Behavior of an Endangered Species » de David Mech, publié en 1970.
La remise en question des idées initiales
Si ces premières études ont été faites sur des loups en captivité, des observations réalisées en milieu sauvage ont permis de faire évoluer la compréhension de leur organisation sociale. En réalité, les meutes de loups sont souvent composées de membres issus de la même famille : le couple reproducteur et leur descendance sur une période de quelques années. La figure du mâle alpha n’est pas une position de pouvoir acquise pour la vie, mais plutôt le résultat d’un rôle occupé par le père, souvent suite à une compétition. La violence ou l’agressivité de ce couple alpha découle d’une stratégie éducative visant à maintenir l’ordre et la hiérarchie naturelle. Les jeunes mâles, une fois qu’ils atteignent une maturité suffisante, quittent la meute pour fonder leur propre clan. Le mâle dominant n’est alors qu’un mâle en position de rang le plus élevé à un moment donné au sein d’une famille animale.
La place du mâle dominant dans d’autres groupes d’animaux
Au fil du temps, l’usage du terme « mâle alpha » s’est étendu à d’autres espèces, notamment chez les primates, même si la structure sociale chez ces derniers diffère sensiblement de celle des loups.
Chez les singes
Chez les chimpanzés (Pan) ou d’autres espèces de singes, ce poste de « mâle alpha » implique une capacité à reproduire son influence par des actes de domination physique ou sociale. La sélection de ce mâle par le groupe repose souvent sur un consensus : ce sont les femelles, en particulier celles en haut de la hiérarchie, qui choisissent leur partenaire principal. Ces femelles associées au mâle dominant passent plus de temps à ses côtés, renforçant ainsi l’autorité du mâle. La relation entre mâle et femelle alpha est souvent une alliance stable, où chacun soutient l’autre. La désignation « alpha » dans ce contexte ne résulte pas d’une compétition brutale, mais plutôt d’un processus de reconnaissance mutuelle et d’acceptation collective. Si le groupe considère que ce mâle ne remplit plus ses fonctions, la hiérarchie peut évoluer sans combat brutal, par le biais de la soumission ou de la reconstitution de la hiérarchie par consensus.
Chez les bovidés caprins
Chez des animaux comme les chèvres sauvages (Capra aegagrus), le mâle dominant acquiert une autorité qui dépasse la simple position hiérarchique. Son rôle implique de maintenir la stabilité du troupeau, de garantir sa cohésion, tout en assurant discipline et ordre. Lors de déplacements, ce mâle partage souvent ses responsabilités avec une autre chèvre matronne, capable de sustenter le groupe en son absence, ce qui témoigne d’un système flexible et non figé.
Chez les moutons
Dans un troupeau de moutons, une figure de chef social guide la cohésion collective. La nature exacte de cette dominance demeure floue : il peut s’agir d’un individu qui s’impose spontanément ou d’un leadership stabilisé dans le temps. Cependant, le processus précis qui permet de devenir « mâle alpha » chez ces ruminants reste peu documenté.
Chez les oiseaux
La hiérarchie chez les volatiles vivant en groupe s’établit en fonction de leur position physique. La règle veut que l’oiseau qui construit son nid plus haut dans la branche soit considéré comme dominant, car cette position lui permet de mieux surveiller ses alentours et d’alerter en cas de danger. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette domination ne se traduit pas forcément par une gestion stricte ou une prise de décision collective.
Les bénéfices liés à la dominance mâle
Un mâle en position de chef dans un groupe joue plusieurs rôles essentiels pour la survie et la cohésion.
La protection et la sécurité
Le mâle dominant doit veiller à la sécurité de tous les membres, en repoussant les menaces extérieures comme les prédateurs. Il doit aussi surveiller le comportement de chaque individu et intervenir en cas de transgression des règles. S’il est agressif ou trop autoritaire, il peut punir ou exclure ceux qui lui désobéissent, afin de préserver la stabilité du groupe.
La reproduction et la transmission du patrimoine génétique
En règle générale, seul le mâle alpha a accès à la majorité des femelles reproductrices. Chez certaines espèces comme les macaques, il consacrera plus de temps à ses partenaires parmi les femelles les plus fécondes. Son statut devient alors source de rivalités avec d’autres mâles qui cherchent à s’emparer de cette position stratégique. Cependant, chez certaines espèces, la hiérarchie permet aussi une certaine liberté, où le mâle alpha autorise parfois la reproduction de ses subalternes.
Une santé et une vigueur accrues
La descendance du mâle dominant jouit souvent d’un attribut physique supérieur, lié à une meilleure santé. Chez certaines espèces comme le singe rhésus, les jeunes produits par un mâle en haut de la hiérarchie ont plus de chances de survivre et de se développer rapidement.
Accès privilégié à la nourriture
Les mâles qui occupent le sommet de la hiérarchie se servent en premier lors des repas. Ils peuvent aussi profiter plus longtemps de leur resource alimentaire, ce qui leur confère un avantage. Chez les lions, par exemple, même si ce sont les lionnes qui chassent et apportent la nourriture, le mâle dominant mange en premier dans une logique de protection mutuelle. La même logique prévaut chez les babouins ou d’autres primates où la nourriture est partagée selon la position sociale.
Critères pour devenir mâle alpha
Si les femelles sont généralement la figure centrale des groupes, respectées pour leur expérience et leur sagesse, chez les mâles, c’est la force physique, la santé, et la capacité à assurer la sécurité du groupe qui priment. La position de mâle dominant n’est jamais assurée à vie. Elle peut être contestée, ou même perdue, si le mâle échoue lors d’un défi, ou s’il montre des comportements abusifs ou incompétents. Chez les primates, il doit faire preuve de sensibilité et de protection pour maintenir son rôle. Il doit prévenir les disputes, prendre soin des faibles, et garantir la sécurité de tous, évitant ainsi tout despotisme. La force morale et physique est essentielle pour maintenir ce statut, mais la légitimité repose aussi sur la reconnaissance collective et le respect mutuel.
Les limites et revers du pouvoir mâle
La position de mâle dominant est vulnérable face aux défis de ses rivaux ou à son propre âge. La compétition pour l’accès à la nourriture ou à la reproduction est permanente. Le stress et les hormones liés à ce rôle peuvent également peser lourdement sur sa santé, comme on l’a constaté chez diverses espèces d’oiseaux et de petits passereaux. Plus il vieillit, plus sa capacité à conserver sa place diminue face à des individus plus jeunes, plus vigoureux, qui finiront par le défier ou le chasser. La figure du mâle alpha n’est donc pas éternelle, mais sujette à une évolution naturelle issue de la compétition et du temps.