Surplombé d’une crête fièrement dressée, le coq exhibe son plumage éclatant de couleurs vives. Les oreilles pointues et bien dressées, l’âne présente un pelage gris discret. À première vue, le roi de la ferme et le simple bourricot semblent totalement opposés et peu liés. Pourtant, une expression populaire rassemble ces deux animaux aux caractéristiques très différentes. Qu’indique cette locution ? Quelle est son origine historique ? Voici une exploration pour en comprendre la véritable paternité, à l’origine d’une formule souvent utilisée dans le langage courant.
Que signifie l’expression “passer du coq à l’âne” ?
Cette expression évoque un changement brutal et souvent sans lien apparent entre deux sujets abordés séquentiellement. En gros, cela consiste à passer d’un thème à un autre sans transition claire, ce qui peut parfois donner l’impression de confusion. Chez les Anglo-Saxons, l’équivalent est “cock-and-a-bull”, qui fait référence à un coq et un taureau. Aujourd’hui, cette formule est surtout employée pour désigner un discours décousu où les idées semblent s’enchaîner sans cohérence, mais ce n’était pas nécessairement le cas dans ses origines. Voyons d’où vient cette expression.
Les frères Grimm seraient-ils à l’origine du “passer du coq à l’âne” ?
Certains pensent que cette locution pourrait descendre d’une scène du conte “Les Musiciens de Brême”, publié en 1815 par les frères Grimm. Dans cette histoire, un groupe d’animaux (un âne, un chien, un chat et un coq) se donnent en spectacle pour faire peur à des brigands. La position de chacun — l’âne en bas, le coq en haut — aurait symbolisé une succession d’animaux que l’on pourrait associer à l’expression. Cependant, une recherche plus approfondie a rapidement démenti cette théorie, car la phrase aurait été attestée dès le XVe siècle, soit bien avant la publication de la fable pour enfants. La piste mythique ne tient donc pas la route.
Passer du coq à l’âne ou à la cane ?
La première manifestation écrite d’une formule proche remonte à la fin du XIVe siècle, sous la formule “saillir du coq à l’asne”. Pour saisir cette expression, il faut connaître deux éléments de l’époque :
- Le mot “asne” désignait alors la femelle du canard, appelée aujourd’hui “cane”;
- Il existait une idée selon laquelle le roi de la basse-cour pourrait tentativement s’accoupler avec des canes, ce qui introduit une image d’incongruité et de déstabilisation.
Saillir, sauter ou saillir du coq à l’âne ?
Au cours du Moyen Âge, l’expression “saillir du coq à l’âne” signifiait un changement de sujet imprévu, passant d’un thème à un autre sans lien logique, illustrant la confusion dans la prise de parole. C’était aussi une métaphore pour décrire ceux qui, dans leur discours, perdent le fil de leur idée, en se trompant de partenaire ou de sujet. On retrouve cette idée dans un écrit attribué à Guillaume Crétin : « De moi vraiment vous vous raillez ; trop vous faillez, car vous saillez du coq en l’asne évidemment. »
Quand le “asne” est-il devenu “âne” ?
Avec l’évolution linguistique, “asne” a perdu son “s” et a été stylisé avec un circonflexe. Simultanément, le mot “âne” a fini par désigner uniquement l’animal équidé, un mâle ou une femelle. Cependant, dans l’usage oral et dans la formule, la confusion entre ces deux notions est restée. Par ailleurs, le verbe “saillir” s’est vulgarisé au XVIe siècle pour signifier “sauter”, puis “passer” d’un sujet à un autre. Cette expression, à ses débuts, évoquait une diversion intentionnelle dans un dialogue, par exemple lorsqu’un enfant, après une réprimande, change brusquement de sujet pour échapper à la correction. Au fil des siècles, “saillir du coq à l’asne” s’est transformé en “passer du coq à l’âne”.
D’où vient précisément la paternité de cette expression ?
En littérature, cette formule apparaît souvent sans trait d’union, ce qui a permis à certains écrivains de la transformer en un nom commun, “coq-à-l’âne”. Au XVIe siècle, cette expression désignait un genre poétique créé par Clément Marot, dans lequel le non-sens et l’énigme servaient à critiquer des personnages ou des faits réels par des moyens satiriques, souvent absurdes. La première œuvre connue, “Epistre du Coq en l’Asne”, datant probablement de 1531, aurait popularisé cette utilisation. La majorité des spécialistes considèrent que cette formule traduit un discours hétéroclite, souvent dénué de logique, où l’on intervient sans faire de transition claire — comme quelqu’un qui, après avoir parlé d’un coq, change subitement pour parler d’un âne, sans faire le lien.