Depuis des millénaires, le mouton accompagne l’humanité et occupe une place centrale dans de nombreuses expressions populaires. La formule “mouton à cinq pattes”, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est une création relativement récente. Mais que veut-elle vraiment dire, et d’où vient cette expression ? Découvrons ses origines et ses significations.
La signification de l’expression “mouton à cinq pattes”
Cette tournure est utilisée pour qualifier aussi bien des objets que des individus. Lorsqu’on l’applique à un objet, elle évoque quelque chose d’extraordinaire, extrêmement rare, voire presque impossible à dénicher. En parlant d’une personne, la phrase désigne quelqu’un d’exceptionnel, possédant des qualités idéales ou recherchées. De nos jours, notamment dans le monde du recrutement, dire d’un candidat qu’il est un “mouton à cinq pattes” revient à souligner qu’il possède un ensemble de compétences très spécifiques, difficiles à rassembler. Cependant, il arrive que cette expression soit utilisée de manière plus littérale ou ironique, comme Jean-Paul Sartre l’a illustré dans “Les Mots”, en décrivant ces “moutons à cinq pattes” comme de véritables anomalies, des situations ou des êtres hors normes, non imputables à une quelconque faute.
Un véritable oiseau rare…
Pour exprimer cette idée d’individu exceptionnel ou de chose insolite, on trouve également des synonymes comme “l’oiseau rare”, “la perle rare” ou “le merle blanc”. Qui en a déjà croisé un ? Ces expressions, toutes liées à la rareté ou à l’originalité, illustrent la même idée : la présence d’un élément exceptionnel. À noter que le merle blanc, par exemple, n’est pas un mythe : il s’agit d’un merle noir dont la pigmentation est altérée par un albinisme, le rendant ainsi très insolite, même s’il existe réellement, contrairement au loup blanc, qui est une mutation plus courante. Pour l’anecdote, chez nos voisins italiens, le “mouton à cinq pattes” est parfois appelé “mosca bianca”, c’est-à-dire “mouche blanche”.
Le “mouton à cinq pattes” au cinéma !
En réalité, aucun mouton doté de cinq pattes n’existe : dans la nature, les ovins comptent toujours quatre membres. La légende d’un mouton à cinq pattes est donc une pure invention, sauf en cas de mutation génétique très exceptionnelle. La popularisation de cette expression doit beaucoup au cinéma, notamment à un film réalisé par Henri Verneuil en 1954, intitulé “Le mouton à cinq pattes”. Ce film a connu un succès populaire considérable et a contribué à faire connaître cette formule. Dans cette œuvre, Fernandel joue six rôles, dont ceux de frères quintuplés et de leur père, ce qui a largement participé à sa renommée. Toutefois, cette expression existait déjà bien avant cette adaptation cinématographique.
Le mouton à cinq pattes, déjà évoqué au XIXe siècle
Même avant le film d’Henri Verneuil, l’expression était déjà présente dans la littérature. Par exemple, en 1888, l’Abbé Jules utilise cette formule dans son ouvrage “Octave Mirbeau”, en la décrivant comme une monstruosité ou une anomalie digne d’être montrée comme un phénomène hors du commun. Plus tard, en 1938, Georges Duhamel emploie cette expression dans “Cécile parmi nous” pour parler d’une personne rare ou presque inatteignable. Ces références prouvent que l’image du “mouton à cinq pattes” circulait déjà dans les mots et les textes bien avant sa popularisation cinématographique.
Un mouton à cinq pattes depuis le Moyen Âge
Si l’origine exacte de cette expression reste floue, il est intéressant de constater que ses variantes plus anciennes remontent au moins au XVIe siècle. Une expression similaire apparaît dans un dictionnaire du bas-langage d’Hautel en 1808, où “chercher cinq pieds à un mouton” désigne le fait d’exiger l’impossible ou de demander plus qu’il n’est possible d’obtenir. Déjà au début de la Renaissance, en 1557, Jean Le Bon évoquait une formule proche, “chercher cinq pieds de mouton où il n’y en a que quatre”, illustrant l’idée d’une quête inutile ou irréaliste.
Un mouton noir dans la cour du roi
Plus ancienne encore, une variante apparaît dans le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), avec l’expression “Quérir les cinq pieds de mouton avec la quinte évangile”, qui signifie chercher l’impossible. Vers la fin du XVe siècle, Henri Baude écrit aussi “jamais le sage ne cherche les cinq pieds d’un mouton”, une phrase qui symbolise la quête de l’impossible ou de l’inaccessibilité. Toutefois, cette dernière formule a parfois suscité la satire, notamment lorsque l’écrivain a été emprisonné pour avoir moqué l’entourage du roi Charles VIII. Cette anecdote montre à quel point l’expression a traversé les siècles, mêlée à des anecdotes et à la satire sociale.