Malheureusement, la plage de ces grands mammifères marins sur nos côtes est une réalité fréquente. Dans un contexte où l’opinion publique est de plus en plus sensible à la protection animale et à la sauvegarde des espèces, beaucoup regrettent ces incidents et souhaiteraient les prévenir. La clé pour agir efficacement réside dans la compréhension des causes profondes de ces phénomènes. Cependant, les chercheurs n’ont pas encore réussi à établir avec certitude les facteurs précis responsables de ces échouages massifs. Voici un aperçu des pistes de réflexion et des hypothèses qu’ils explorent actuellement.
Les incidents de mammifères marins en métropole française
En 2019, on recense plus de deux mille deux cent quatre-vingt-deux cas d’animaux marins échoués sur le littoral français, principalement des cétacés (83 %) ainsi que des pinnipèdes (17 %). Ces chiffres dépassent la moyenne des dix dernières années. La hausse notable est surtout due à un accroissement des échouages de dauphins communs, notamment en période hivernale, principalement dans l’Atlantique. La majorité de ces incidents est étroitement liée aux captures accidentelles dans les équipements de pêche. La même tendance s’observe pour les marsouins, affectés eux aussi par ces interactions avec la pêche.
Si ces phénomènes semblent clairement reliés à la pêche en France, la situation dans d’autres régions du globe soulève une multitude d’interrogations. Les chercheurs analysent plusieurs hypothèses pour tenter d’en expliquer l’origine.
Fatigue, pathologies et migrations imposées
Les cétacés parcourent parfois d’immenses distances lors de leurs migrations, pouvant atteindre 10 000 kilomètres. Ces déplacements, motivés par la recherche de zones riches en nourriture ou de sites de reproduction, sont effectués à une vitesse variant entre 5 et 20 km/h, ce qui équivaut à environ 75 à 200 km par jour. Ces voyages permettent aussi de rejoindre des zones où la présence de prédateurs est moindre, assurant ainsi une protection accrue pour les jeunes. Les itinéraires et les périodes migratoires diffèrent selon les espèces, comme chez les rorquals à bosse ou les marsouins, qui quittent les côtes l’hiver pour évoluer en pleine mer, loin des glaces.
Une telle mobilité les expose à divers risques, notamment des tempêtes de plusieurs jours qui peuvent épuiser leur énergie, ou à des maladies. Par exemple, dans les années 1990 et 2000 en Méditerranée, de nombreux dauphins bleus et blancs ont été victimes du Dolphin Morbillivirus, un virus provoquant pneumonie, encéphalite et affaiblissement du système immunitaire. Ces affections les rendent incapables de nager convenablement. En Australie aussi, cette maladie est une cause fréquente d’échouages, car les animaux échoués présentent souvent des signes de maladie avancée.
L’impact des tempêtes solaires sur l’orientation
Les mystères concernant la navigation des cétacés restent nombreux, notamment leur capacité à localiser leur chemin lors des migrations. Une hypothèse avancée est que ces mammifères utiliserait la sensibilité au champ magnétique terrestre, grâce à la présence de magnétite dans leur cerveau. Or, les tempêtes solaires peuvent perturber la perception de ce champ magnétique, désorientant ainsi les animaux. Lorsqu’ils perdent leur sens de l’orientation, ils peuvent s’échouer sur les côtes, incapables de retrouver leur route.
La pollution sonore : un désastre invisible
En mai-juin 2008, près de Madagascar, une centaine de dauphins d’Électre s’étaient échoués. La présence simultanée d’un navire de recherche pétrolière à proximité a remis en cause la responsabilité des bruits sous-marins dans cet incident. En effet, certains sons émis par les sonars ou lors de sondages sous-marins, tels que les explosions ou autres bruits liés à l’activité humaine, peuvent perturber profondément le système d’écholocation des mammifères marins. Ces perturbations auditives ont été associées à une augmentation des collisions entre cétacés et bateaux, selon des études menées par le laboratoire de bioacoustique de l’Université polytechnique de Catalogne. À cela s’ajoute le fait que les pêcheurs utilisent parfois ces bruits pour repousser les mammifères, afin d’éviter qu’ils ne s’emmêlent dans les réseaux, soulevant ainsi la question de l’efficacité réelle de telles méthodes.
Stratégies de sauvetage face aux échouages
Les pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont développé une expertise précieuse dans le sauvetage des cétacés échoués. En 2017, près de 600 globicéphales noirs s’étaient retrouvés échoués en Nouvelle-Zélande, et environ 400 ont pu être sauvés grâce à des opérations coordonnées. En 2020, toutefois, un nouvel échouage de plus de 460 de ces même animaux en Tasmanie n’a permis de sauver qu’une cinquantaine de spécimens, malgré une mobilisation importante.
En France, l’organisation créée par Raymond Duguy en 1970, le Réseau Tendances et animaux, rassemble plus d’une centaine d’acteurs pour intervenir lors d’échouages, qu’ils soient sur le littoral métropolitain ou dans les outre-mer. Ce réseau, guidé par l’Observatoire Pelagis basé à La Rochelle et dépendant du Ministère de la Transition écologique, mobilise des bénévoles, associations et collectivités pour agir rapidement. Il joue également un rôle essentiel dans la recherche, en recueillant des données lors de chaque intervention afin d’approfondir la compréhension de ces phénomènes.
Un espoir pour la conservation
Certaines populations de cétacés connaissent des tendances encourageantes. Malgré une chasse encore pratiquée illégalement, avec environ 1 000 baleines tuées chaque année à des fins commerciales, la majorité des espèces montre un essor significatif. La population de rorquals communs, par exemple, a presque doublé depuis les années 1970 pour atteindre aujourd’hui près de 100 000 individus. La baleine grise, qui frôlait l’extinction, voit désormais sa situation s’améliorer, passant d’une critique extrême à une classification en danger. La renaissance des baleines à bosse, qui étaient tombées à seulement quelques centaines d’individus dans la moitié du XXe siècle, témoigne aussi des effets positifs des mesures de protection internationales, des interdictions de chasse et des efforts de conservation.
Les effets du changement climatique
Le cas des baleines grises au Mexique illustre bien l’impact du changement climatique. Ces mammifères se reproduisent dans des lagunes côtières de Basse-Californie, et leur populations, qui avaient failli disparaître, ont connu une croissance remarquable depuis le début des années 1970. Toutefois, depuis 2019, plus de 400 baleines sont mortes échouées sur le Pacifique, étendant de la côte du Canada jusqu’à la péninsule de Basse-Californie. Ce déclin inquiétant pourrait être lié à la progression du réchauffement des eaux, qui diminue les zones de nourriture pour ces animaux lors de leur migration. La réduction des ressources alimentaires risque notamment d’affaiblir la santé et la capacité migratoire des baleines.
En parallèle, ces mammifères participent activement à la lutte contre le réchauffement climatique en absorbant et stockant le dioxyde de carbone (CO2) — chaque baleine pouvant accumuler environ 33 tonnes de ce gaz à l’état solide. Lorsqu’elles meurent de manière naturelle, leur corps immergé dans les profondeurs océanique contribue au stockage du carbone. En revanche, lorsqu’elles s’échouent mortes à terre, ce mécanisme de captation est interrompu, soulignant encore l’importance de leur sauvegarde.