Souvent perçues comme des créatures inquiétantes dans l’imaginaire collectif, les sangsues fascinent autant qu’elles repoussent. Leur apparence visqueuse et leur mode de vie basé sur l’aspiration de sang leur donnent une réputation de monstres aquatiques. Pourtant, derrière cette image sulfureuse se cache une réalité plus nuancée. Découvrons ensemble ce que ces animaux sont réellement, leurs comportements, leurs habitats et leur rôle dans la nature.
Une diversité d’espèces à connaître
Les sangsues, aussi appelées hirudinées ou achètes, regroupent une cinquantaine de genres distincts, représentant environ 650 variétés différentes. Ce sont des vers annelés dont la taille varie généralement de 1 à 20 centimètres, à peu près la longueur d’une paume adulte. Selon leur espèce, elles adoptent des modes de déplacement variés : certaines nagent aisément en utilisant leurs ventouses ou se déplacent comme des chenilles, en allongeant leur corps tout en fixant une ventouse pour avancer. Leur morphologie leur permet d’explorer leurs milieux aquatiques avec agilité.
Longtemps considérées comme de simples monstres, ces êtres vivants ont retenu l’attention des scientifiques durant plus de deux millénaires, notamment en raison de leurs usages en médecine. La diversité de ces animaux demeure encore largement sous-estimée : en France, par exemple, le recensement complet des sangsues sur le territoire n’a été entrepris que récemment, en 2015, sous la direction du Muséum d’Histoire naturelle et de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN).
Où peut-on les rencontrer ?
Majoritairement présentes dans les eaux douces comme les lacs, étangs, rivières, marais et marécages, les sangsues occupent surtout des environnements riches en végétation aquatique. Ces zones leur offrent des caches naturelles pour se protéger des prédateurs et un approvisionnement en nourriture. Bien que la majorité d’entre elles se trouve en surface près des berges, quelques espèces peuvent également évoluer dans des estuaires ou en mer. Leur besoin d’oxygène à la surface de l’eau limite leur présence aux zones peu profondes, où elles peuvent aisément respirer.
Ce sont des animaux résistants, capables de supporter un large éventail de températures : quelques espèces tolèrent des eaux aussi froides que 5°C, d’autres prospèrent jusqu’à 25°C. En revanche, leur activité est souvent réduite dans les extrêmes. En ce qui concerne leur comportement, différentes espèces adoptent des stratégies variées : certaines ont tendance à se regrouper pour se nourrir ou se reproduire, tandis que d’autres préfèrent la solitude. Ces rassemblements peuvent mêler plusieurs espèces différentes.
Leur alimentation : entre sang et carnivorisme
Représentant leur trait de caractère le plus connu, la majorité des sangsues se nourrissent de liquide vital. Sur les quelque 650 espèces, près de 300 sont parasites temporaires qui s’attaquent à des animaux terrestres ou aquatiques, en se gorgeant de leur sang ou de leur hémolymphe. Elles se fixent à leur hôte grâce à des ventouses situées aux extrémités de leur corps, qu’elles utilisent pour percer la peau avec leurs dents acérées. Lors du prélèvement, elles sécrètent des substances anticoagulantes et anesthésiantes, ce qui empêche le sang de coaguler et diminue la douleur, permettant aux animaux de rester immobiles et de se faire dévorer sans difficulté.
Leur portefeuille de cibles est vaste : mammifères, amphibiens, reptiles, poissons, etc. Une fois qu’elles ont terminé leur repas, qui peut durer entre une demi-heure et une journée, elles se détachent et peuvent augmenter considérablement de volume après avoir ingéré jusqu’à 15 grammes de sang. Après une prise de nourriture, certaines sangsues peuvent rester plusieurs mois sans se nourrir, certaines allant même jusqu’à une année entière.
Une minorité de ces animaux se nourrit de manière différente : elles sont carnivores et consomment des larves d’insectes, des vers ou d’autres invertébrés. Parmi elles, on trouve des espèces qui se nourrissent occasionnellement de cadavres, qualifiés de charognards. Certaines sangsues opportunistes adaptent leur régime alimentaire à ce qui est disponible autour d’elles, faisant preuve d’une certaine flexibilité alimentaire.
Les sangsues à usage thérapeutique
Parmi les sangsues qui se nourrissent de sang, peu ont une affinité particulière avec le sang humain. La plus célèbre en médecine est Hirudo medicinalis. Utilisée depuis des siècles pour ses propriétés thérapeutiques, cette espèce a presque disparu dans la nature à force d’être surexploitée. Au Canada, on connaît aussi une espèce nommée Macrobdella decora, mais en Europe, c’est Hirudo medicinalis qui est privilégiée pour ses vertus médicales.
En France, cette dernière est élevée dans des centres spécialisés, notamment dans les Landes et en Camargue, où elle se nourrit de larves d’insectes ou de sang de volaille en intérieur. Elle est maintenue en captivité pour des usages médicaux, où elle peut ingérer jusqu’à dix fois son poids en quelques minutes avant de se retirer. Sa période de jeûne peut durer plusieurs mois, voire un an, sans compromettre ses capacités d’usage thérapeutique. Contrairement à l’image horrifique souvent associée, la sangsue est traitée dans des conditions contrôlées : elle n’est pas abattue, mais plutôt relâchée ou maintenue en vie pour un usage précis.
Les vertus thérapeutiques de Hirudo medicinalis résident dans sa capacité à relancer la circulation, à réduire l’œdème et à calmer la douleur. Elle est notamment utilisée dans le traitement des œdèmes, de la phlébite, de l’arthrose du genou, ou encore des gonflements liés à certaines interventions chirurgicales, comme le cancer du sein.
La reproduction des sangsues
Ces animaux sont hermaphrodites, possédant à la fois des organes reproducteurs mâles et femelles. Sur un spécimen d’Hirudo medicinalis, on trouve neuf testicules, un pénis, deux ovaires et un utérus. La reproduction implique souvent un échange de sperme entre partenaires, suivi d’un processus complexe de fécondation. Certains pondent des œufs dans des environnements humides comme la végétation ou des débris, d’autres donnent naissance à des petits déjà vivants. Les œufs sont généralement déposés dans des cocons ou capsules spongieuses, où ils se développent durant une période variable.
Par exemple, Haemopis sanguisuga se nourrit de larves, de petits invertébrés, voire d’autres sangsues, et quitte parfois l’eau pour pondre dans la terre humide à proximité des rives. Elle dépose ses œufs dans une enveloppe, un cocon, où jusqu’à 16 embryons se développent, éclosant sous forme de petits de près de 1,5 centimètre. Ces jeunes commencent leur vie en étant indépendants, ou nécessitent un peu plus de temps pour terminer leur maturation.
Quels sont leurs prédateurs ?
Les sangsues ne sont pas indéfendables : elles peuvent être la proie de poissons, oiseaux aquatiques, tortues ou mammifères spécialisés dans la chasse aux invertébrés aquatiques. Pour se protéger, elles recourent à différentes stratégies, comme des couleurs vives pour avertir ou des substances chimiques pour repousser leurs ennemis. Certaines espèces se camouflent dans la végétation ou se réfugient dans la vase, tandis que d’autres comptent sur leur rapidité ou leur toxicité pour survivre.
Pour les gestionnaires de plans d’eau souhaitant limiter leur population, l’introduction de prédateurs tels que perches ou achigans peut être envisagée, tout comme la consommation par des carpes koï ou la simple aspersion du fond de l’eau. Cependant, comme leur biologie reste encore partiellement mystérieuse, il y a encore beaucoup à apprendre sur leur écologie, leurs comportements et leurs interactions avec leur environnement.
En cas de découverte d’une sangsue attachée à un membre lors d’une baignade, il ne faut pas paniquer. Elle se détachera d’elle-même après avoir aspiré quelques gouttes de sang. Contrairement aux tiques, elles ne transmettent pas de maladies ou d’infections, à condition de la retirer délicatement. Si vous êtes mordu dans un pays exotique, évitez de tirer brutalement : brûlez-la avec une cigarette ou utilisez une autre méthode douce pour la faire tomber.