Comprendre l’origine de l’expression ‘Froid de canard’

Accueil » Les animaux sauvages » Anecdotes insolites » Comprendre l’origine de l’expression ‘Froid de canard’

Lorsque les températures chutent profondément et que l’hiver s’installe durablement, il n’est pas rare d’utiliser une expression populaire pour évoquer le froid intense : “Il fait un froid de canard !”. Mais qu’est-ce qui relie concrètement cet oiseau aquatique à une sensation de froid extrême ?

Origine et sens de l’expression “ un froid de canard ”

Cette phrase sert à désigner une vague de froid particulièrement rude, impitoyable, qui se fait sentir dans toutes les couches. Elle n’est pas seule dans cette catégorie ; d’autres expressions comme “ un froid du loup ”, “ un froid de tous les diables ” ou encore “ un froid polaire ” véhiculent cette même idée de températures glaciales. Dans différentes cultures, d’autres animaux sont associés aux grands froids : en espagnol, on parle d’un “ froid de chien ”, en allemand d’un “ froid de cochon ”, et en néerlandais d’un “ froid d’ours ”. Chez nos amis britanniques et américains, on ouïe parfois des expressions amusantes telles que “ il fait froid comme le téton d’une sorcière ” ou “ il fait un temps de singe en laiton ”. Voici quelques exemples illustrant cette expression dans la littérature et le langage courant :

  • « Par un matin glacé, les sans-abri découvrirent le corps d’Hubert, victime d’un froid de canard, à côté de bouteilles vides. » (Jacques Yonnet, 1954) ;
  • « Ce n’étaient que des couchettes sommaires, et le froid de canard glissait sur eux, risquant de leur causer une pneumonie. » (Clément Bories, 1960) ;
  • « La nuit de Noël avait apporté un froid de canard, mais nous étions bien installés au chaud. » (Paul Dellapina, 1972) ;
  • « Malgré le froid de loup qui sévissait, ils tenaient bon, profitant du foie gras et des bonnes pensées. » (Louis Pauwels, 1977) ;
  • « Lors de cette rencontre, il m’a raconté une blague : une poule et un canard discutent. La poule lui dit : “il fait un froid de canard”. Le canard répond : “J’ai la chair de poule !” » (Stoïan Stoïanoff, 1998).

Pour quelles raisons associe-t-on le canard à ce froid extrême ?

Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer cette alliance entre un volatile aquatique et le phénomène de grand froid. La première évoque la période de chasse du canard, qui se déroule principalement durant l’automne et en hiver, périodes où les températures deviennent souvent particulièrement basses. À cette saison, beaucoup de canards migrateurs quittent leur habitat natal pour rejoindre des zones plus clémentes comme le sud de l’Europe ou le Maghreb. Les chasseurs profitent de ces mouvements pour les cibler quand ils sont en groupes, plus faciles à atteindre, notamment à l’aube ou au crépuscule, moments où la température est généralement la plus glaciale. La difficulté pour ces chasseurs réside dans leur immobilité prolongée sous la chaleur du froid, tout en essayant de ne pas effrayer les oiseaux. La nécessité de rester immobile augmente la sensation de froid au point de donner un aperçu du climat glacial ressenti par l’animal.

Une seconde explication repose sur le fait que tous les canards ne migrent pas et que, lorsque l’hiver approche, la glace commence à se former sur les plans d’eau, empêchant les canards de se nourrir ou de se reposer dans leur habitat habituel. Cette situation oblige certains à chercher refuge dans des eaux courantes ou plus chaudes, ce qui peut les rendre plus visibles et donc plus vulnérables à la chasse. Ce déplacement obligé, lié au froid, participerait à la perception du terme “froid de canard”.

Enfin, une autre origine possible évoquée par la revue scientifique L’Intermédiaire des chercheurs et curieux remonte à la fin du XIXe siècle. Selon cette hypothèse, le froid serait associé à la physiologie du canard lui-même, qui, en période de froid, bénéficie d’un plumage particulièrement isolant, mais dont cette adaptation indiquerait aussi que si l’oiseau ressent la froidure, c’est que la température est vraiment très basse. En 1888, cette revue expliquait que l’expression faisait référence au fait que ces oiseaux, en étant soumis au froid, symbolisaient une rigueur exceptionnelle et que leur propre réaction face au froid devenait un indice de la température extrême.

Depuis quand l’expression est-elle utilisée ?

Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que cette expression commence à apparaître dans la langue française. La première mention connue figure dans la revue La Vie Parisienne en janvier 1880, illustrant ainsi son apparition dans le langage courant à cette époque. Plusieurs exemples littéraires illustrent cette expression dès le début du XXe siècle :

  • « Il faisait un froid de canard, et M. de Cambremer insistait sur la rigueur de l’hiver. » (Marcel Proust, 1913-1927) ;
  • « Mes pieds étaient gelés dans cette tempête glaciale, c’était un vrai froid de canard. » (Les carnets de l’aspirant Laby, 1914-1919) ;
  • « La météo était glaciale, un froid de canard, ici. » (Léon Groc, 1917).

Les capacités thermiques du canard face au froid

Les plumages du canard, parfaitement adaptés à la vie aquatique, jouent un rôle crucial dans la gestion de la température. Leur imperméabilité garantit que même après une immersion, ses plumes restent sèches, préservant la chaleur corporelle. La couche de graisse sous-cutanée, accumulée durant la période estivale, sert de réserve calorique durant l’hiver. Cependant, lors d’un hiver particulièrement rigoureux qui gèle totalement certains plans d’eau, les canards doivent quitter leur habitat, car ils ne peuvent plus se nourrir ni se toiletter sur place. Cela peut entraîner une concentration accrue de vols dans des zones où la nourriture est encore accessible, accentuant la compétition pour les ressources. Néanmoins, leur capacité à parcourir de longues distances leur confère un avantage certain face au froid, leur permettant de rejoindre des régions où le climat est plus doux, moins hostile. Ainsi, malgré leur vulnérabilité au froid, leur physiologie et leur comportement leur offrent souvent une meilleure résistance comparée à d’autres oiseaux face à l’hiver rigoureux — ils souffrent donc moins “de froid comme le canard”.