Que signifie réellement l’expression “bavard comme une pie” ? Reflète-t-elle une caractéristique fidèle à la réputation de cet oiseau ou s’agit-il d’une exagération ? En observant de plus près les corvidés, il apparaît que leur réputation n’est pas infondée : leur chant, souvent strident, répétitif et un peu nasillard, se mêle en permanence aux mélodies harmonieuses de leurs collègues. D’où vient cette expression, quelle en est l’origine, et comment a-t-elle évolué pour refléter une telle réalité ?
La réputation de la pie : une véritable glotte
Avant d’approfondir l’origine de l’expression, il est utile de commencer par définir ce qu’est un bavard. Le terme dérive du mot “bave”, évoquant à la fois la salive et la parole : à l’époque médiévale, le bavard désignait celui qui parlait abondamment, souvent en utilisant une quantité importante de salive. Généralement, une personne bavarde s’exprime avec beaucoup d’enthousiasme, souvent pour raconter des trivialités ou échanger des ragots. Parmi ses synonymes, on trouve notamment babiller, papoter, caqueter ou jacasser, qui traduisent tous cette tendance à parler de façon excessive et parfois sans grand intérêt.
La pie, véritable moulin à paroles
Prendre en compte cette expression, c’est aussi réfléchir à la nature même de la pie, cette espèce d’oiseau très loquace. La pie bavarde (Pica pica) doit son nom à son habitude de crier, de jacasser et d’intervenir sans arrêt, notamment pour se mêler aux conversations ou signaler la présence d’un danger. Très répandue en Europe, cette espèce n’est pas particulièrement farouche et aime évoluer près des zones habitées. Ses vocalises bruyantes font partie de son mode de communication, qu’il s’agisse de rassembler ses semblables ou de mettre en alerte face à d’éventuels prédateurs. Lorsqu’un danger se profile, elle pousse une série de cris rapides, qui résonnent à distance, tout en étant souvent un peu nasillard. De ce fait, la pie, par son comportement bavard, a fini par devenir un symbole de parole incessante.
Une réputation ancienne : la pie, symbole de bavardise depuis l’Antiquité
Contrairement à des oiseaux vénérés comme l’aigle, la pie n’a pas toujours été considérée avec admiration. Au contraire, dans les anciennes civilisations, cet oiseau associait à la magie, à la sorcellerie, en raison notamment de son intelligence et de sa curiosité pour l’homme. Sur le plan mythologique, certains textes antiques soulignent sa capacité à imiter la voix humaine. En Chine, on pensait même que la pie pouvait découvrir les infidélités conjugales et rapporter ces secrets à ceux qui en étaient victimes, semblant jouer le rôle de véritable commère. Dans la Rome antique, Pétrone mentionne dans son célèbre roman satirique, Le Satyricon, une femme appelée Fortunata, considérée comme une bavarde insatiable à cause de ses propos incessants, comparée à une pie d’oreiller qui bavarde la nuit avec son mari, dénigrant ceux qu’elle n’apprécie pas.
Au Moyen Âge, la pie devient synonyme de bavardise et de bizarrerie
Ce n’est qu’au XVIIe siècle que l’expression “bavard comme une pie” prend véritablement son essor. À cette époque, cette métaphore est utilisée pour désigner les personnes qui parlent continuellement, souvent sans intérêt. En 1563, lors d’un sermon, Calvin évoque “parler comme pies en cage”, pour illustrer une parole incessante. En 1625, un dictionnaire du français mêle déjà cette image à celle du “jasement” de la pie. Peu après, en 1690, le dictionnaire d’Antoine Furetière recense plusieurs variantes, comme “causer comme une pie dénichée” ou “borgne”, une expression liée à une pratique médiévale particulière. En effet, autrefois, il était courant de crever un œil aux pies entraînées à répéter des sons, une coutume cruelle qui explique cette référence au regard manquant.
Le genre, un critère de qualification
Dans les premiers textes, le mot “pie” est uniquement utilisé pour désigner une femme bavarde, une image qui a perduré pendant de nombreux siècles. La littérature du XVIIIe siècle en est un bon exemple, avec des phrases où la femme est qualifiée de “pie” pour sa propension à bavarder. Au fil du temps, ce terme est devenu plus neutre, étant appliqué aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Par exemple, un auteur suisse déclarait en 1846 : “Cet homme peut parfois être bavard comme une pie ou, au contraire, rester parfaitement silencieux comme une statue.” Au XIXe siècle, Alfred de Musset évoquait un personnage “bavard comme une pie ou comme un perruquier à propos de propos malicieux”. Ainsi, cette image d’un animal à la parole abondante a fini par englober toute personne, indépendamment de leur genre, soulignant l’universalité de cette trait de caractère.