Lorsque l’on évoque les araignées, la plupart pensent aussitôt à leur toile emblématique. Cependant, toutes ces créatures ne tissent pas nécessairement ces structures. Avec environ 48 000 espèces répertoriées à ce jour, chacune a développé des méthodes particulières pour se nourrir et assurer sa survie. Contrairement à certaines idées reçues, la toile n’est pas leur unique moyen de capturer une proie. Cet article vous propose d’explorer les diverses techniques utilisées par ces arthropodes pour se nourrir.
La base de la création d’une toile : la fabrication du fil de soie
Pour confectionner une toile, il faut tout d’abord produire un fil de qualité. La clé réside dans la fabrication de la soie, un processus fascinant. La majorité de la soie d’araignée est constituée de protéines spécifiques appelées spidroïnes. Ces protéines sont synthétisées dans différentes glandes à soie situées dans le corps de l’araignée. Selon les types de glandes, la soie produite possède des caractéristiques distinctes. Une seule araignée peut sécréter jusqu’à huit variétés différentes, comme la soie sèche pour la construction des structures ou la soie gluante pour immobiliser ses proies. La complexité de ce système est impressionnante.
Dans leurs glandes, la soie est stockée sous forme liquide, une solution aqueuse riche en protéines. Cette concentration élevée est essentielle pour permettre un durcissement quasi immédiat une fois qu’elle entre en contact avec l’air et qu’elle est étirée. Lorsqu’une araignée décide de produire de la soie, elle exerce une pression pour faire remonter le liquide vers ses filières, des structures équipées de milliers de minuscules tubes, les fusules, par où la soie est extrudée.
Le passage de la phase liquide à l’état solide s’effectue lors de l’expulsion. En s’étirant, les protéines modifient leur conformation, formant des liaisons intermoléculaires qui durcissent la filament. Ce processus de solidification, comparable à l’extrusion plastique, est renforcé par l’évaporation de l’eau et le contact avec l’air. Une fois la fibre sortie, l’araignée peut la manipuler pour diverses utilités, notamment pour la rendre adhésive en appliquant des gouttes collantes sécrétées par d’autres glandes.
Les propriétés exceptionnelles de la soie d’araignée
Les filaments de soie contiennent environ 63 % de cristaux, leur conférant une résistance comparable à celle de l’acier. Ils comportent aussi 22 % de structures amorphes qui leur donnent de l’élasticité, ainsi que 15 % de matières grasses et d’eau. Grâce à cela, un même fil peut s’étirer jusqu’à 35 % de sa longueur initiale.
Reconnu pour sa robustesse, sa résistance et son élasticité hors du commun, la soie d’araignée est souvent comparée à des matériaux de haute technicité tels que le Kevlar. Son exceptionnelle capacité à absorber une grande quantité d’énergie avant de céder a suscité un vif intérêt de la part des chercheurs, qui explorent ses applications dans des domaines allant de la biomédecine à l’industrie.
Les divers types de toiles
Les différentes espèces d’araignées ont étoffé leur arsenal en développant plusieurs types de structures pour piéger leurs proies. Voici un aperçu des plus courantes. Les plus connues sont celles en orbite, caractérisées par leur réseau concentrique de fils radiaux et de spirales collantes. Ces structures, principalement adoptées par la famille des Araneidae (dont fait partie l’épeire diadème), sont présentes sur tous les continents sauf aux pôles. Certains, comme les Uloboridae, tissent des toiles en forme de triangle à trois rayons.
Au sein des Araneidae, certaines espèces fabriquent un fil de soie terminé par une boule très adhésive, utilisé comme un lasso pour capturer des insectes attirés par ses phéromones imitées, notamment certains papillons du genre Mastophora ou Cladomelea. D’autres araignées préfèrent les toiles en nappe, installées souvent près du sol ou dans la végétation. Ces structures, généralement horizontales ou légèrement inclinées, ne disposent pas toujours de parties collantes, mais servent de pièges facilement tendus pour la capture par chute ou par vibration.
Les araignées de la famille des Agelenidae construisent des toiles en entonnoir. Ces habitats, généralement vastes, disposent d’un tapis plat avec un abri en forme d’entonnoir où l’araignée se réfugie. Lorsqu’une proie touche la toile, celle-ci l’avertit pour que l’araignée surgisse rapidement et l’immobilise. La tégénaire est un exemple de ces araignées.
Par ailleurs, d’autres espèces, comme les Dictynidae, tissent de faibles réseaux adhésifs dans la végétation ou sur les murs. Leur toile, souvent irrégulière, sert principalement à piéger de petites proies, tandis que l’araignée se tient dessous ou à proximité, prête à intervenir.
La chasse active : une autre technique
Certains arachnides adoptent une approche plus dynamique, en chassant leurs proies activement. Parmi eux, les araignées-loups et les Salticidae excellent dans cette méthode. Leur succès dépend fortement de leurs sens aiguisés et de leur force physique.
Les araignées-loups, regroupées dans la famille des Lycosidae, sont souvent appelées tarentules. Elles chassent principalement au sol, où elles poursuivent leur proie en sprintant et sautant. La plupart sont diurnes, utilisant leur excellente vision pour repérer les mouvements, tout en percevant aussi les vibrations émises par les insectes ou petits animaux cachés dans la végétation.
Véritables athlètes, ces araignées ont des pattes longues et un corps puissant, leur permettant d’accélérer rapidement pour atteindre leur cible ou même nager pour échapper à un prédateur. Leur approche consiste à s’approcher le plus discrètement possible avant de fondre sur leur proie avec rapidité.
Les Salticidae, ou araignées sauteuses, possèdent une vision exceptionnelle, leur permettant de juger avec précision la distance. Leur principale arme est un saut précis, souvent plusieurs fois la longueur de leur corps, qu’elles exécute à l’aide d’un << filin de sécurité >> qu’elles tissent, afin de se rattraper en cas de dérapage.
Après avoir localisé leur cible, elles la mesurent soigneusement, puis lui sautent dessus dans un mouvement fluide, utilisant parfois des déplacements latéraux ou arrière pour mieux manœuvrer, et l’immobiliser en un saut précis.
Les stratégies de pièges
Outre la chasse en mouvement, certaines araignées ont mis en place des techniques de piège ingénieuses. On retrouve notamment celles dites en trappe, présentes dans diverses régions, notamment en Australie, en Amérique ou en Europe méridionale.
Ces araignées creusent une cachette dans le sol et la recouvrent d’un couvercle en soie mêlée à des débris naturels pour masquer leur présence. Elles attendent les vibrations qu’indiquent la présence d’une proie, comme une sauterelle ou un scarabée, et bondissent au dernier moment pour saisir l’animal, qui ne tombe pas dans le piège puisqu’il n’y a pas d’appât. La rapidité est essentielle, et elles injectent un venin pour paralyser rapidement leur proie avant de la rapporter dans leur abri.
D’autres méthodes originales
Certaines araignées pêchent pour se nourrir. Par exemple, Dolomedes fimbriatus évolue près des eaux douces, où elle marche sur la surface en exploitant la tension superficielle. Dotée d’un corps hydrophobe et de poils spécifiques sur ses pattes, elle se déplace sur l’eau sans couler, détectant les vibrations pour localiser poissons ou insectes aquatiques.
Une autre technique remarquable est celle des Scytodes thoracica, dites araignées-cracheuses. Ces chasseresses projettent un liquide venimeux et adhésif sur leur proie à distance, grâce à un motif zigzag pour maximiser leurs chances de capture. Leur excellente vision nocturne leur permet d’attaquer efficacement dans l’obscurité, en ajustant la force et la trajectoire de leur « crachat » en fonction de la distance.
Ce tour d’horizon des différentes stratégies de chasse des araignées ne reflète qu’une partie de la diversité de ces insectes fascinants. La richesse des espèces et leurs méthodes innovantes restent encore en partie méconnues, car de nouvelles découvertes sont faites régulièrement par les chercheurs.