Le terme spécisme, apparu dans les années 1970, désigne l’idée selon laquelle la classification des animaux par leur espèce serait un critère valable pour déterminer leur statut, leurs droits ou leurs intérêts. Bien que largement contesté par le mouvement antispéciste, ce concept reste encore profondément ancré dans la société actuelle.
Comment comprendre le spécisme ?
Originaire du mot latin species, signifiant « espèce », le spécisme repose sur la croyance que certaines espèces occupent une place supérieure à d’autres, conduisant à une discrimination injustifiée basée uniquement sur cette différence. Il s’agit de considérer l’humain comme naturellement supérieur et de réduire les autres animaux à des outils pour satisfaire les besoins humains. De ce fait, les intérêts de certains animaux sont ignorés, simplement parce qu’ils appartiennent à des espèces différentes.
Origines et évolutions du spécisme
La construction idéologique du spécisme remonte à l’Antiquité, où Aristote lui-même soulignait la supra-sérogation de l’être humain tout en établissant une hiérarchie entre les diverses espèces d’animaux. Cependant, c’est dans les années 1970 qu’il a été remis en question par des philosophes et chercheurs, notamment grâce au travail de Richard D. Ryder, un psychologue britannique. Ce dernier a créé le terme « spécisme » pour dénoncer la discrimination systématique envers les animaux, dans un contexte de contestation des expérimentations en laboratoire. Avec ses collègues de l’université d’Oxford, il a publié une œuvre majeure, Animals, Men and Morals, qui insiste sur le fait que, depuis Darwin, la communauté scientifique reconnaît qu’il n’existe pas de différence fondamentale sur le plan biologique entre humains et autres animaux.
Par la suite, le philosophe australien Peter Singer a popularisé cette réflexion dans son livre La libération animale. Il établit un parallèle entre le traitement discriminatoire des animaux et d’autres formes d’oppression comme le racisme ou le sexisme, en soulignant que la hiérarchie basée sur l’espèce participe d’une logique de domination. La dénonciation du spécisme s’est ainsi développée par analogie avec d’autres systèmes d’injustice, dans une volonté de remettre en cause toute forme d’exploitation inégalitaire.
Les arguments en faveur du spécisme
La majorité des sociétés occidentales continue de soutenir une vision spéciste. Parmi les justifications avancées, on trouve souvent des arguments issus de la religion. Certains croyants affirment que les animaux ont été créés pour servir l’homme, considéré comme une créature à part, façonnée à l’image de Dieu. Cette idée est notamment présente dans le christianisme et le judaïsme. Même si le bouddhisme perçoit les animaux comme des êtres sensibles et ayant une âme, il établit aussi une hiérarchie des êtres, où la réincarnation peut faire rétrograder les humains au rang animal si leur comportement a été immoral.
Un autre discours récurrent privilégie la vision anthropocentrique, selon laquelle seules les capacités mentales avancées, telles que la raison, la conscience de soi ou la morale, seraient propres à l’homme. Les animaux seraient alors considérés comme inférieurs, simplement parce qu’ils ne posséderaient pas ces qualités, ou pas dans la même mesure, ce qui justifierait leur exploitation ou leur mise à l’écart.
Le spécisme, vu comme une hiérarchie de vie
En refusant de reconnaître à toutes les espèces un statut égal, le spécisme maintient que certains animaux peuvent être traités comme des biens ou des ressources, disponibles pour l’usage humain. Cette logique justifie la valorisation différente des animaux domestiques, tels que les chiens ou les chats, par rapport aux animaux d’élevage, qui sont abattus pour leur consommation. Ces préférences varient selon les cultures et les régions du globe, comme en témoigne la différence notable dans les pratiques alimentaires entre l’Occident et l’Orient. La grande contradiction du spécisme réside dans le fait d’accorder une affection particulière aux animaux de compagnie, tout en restant indifférent à la souffrance de ceux qui servent à l’alimentation.
Enfin, le spécisme contribue à voir les animaux comme de simples propriétés ou marchandises, des biens que l’on peut utiliser sans limite ni considération éthique.
Que révèle l’éthologie sur la sensibilité animale
Contradiction apparente à l’argument de l’anthropocentrisme, l’éthologie, science qui étudie le comportement des êtres vivants, montre que les animaux sont capables de ressentir des émotions, voire de faire preuve d’intelligence et de comportements sociaux. Ils perçoivent la douleur, le plaisir, et peuvent manifester de l’empathie à des degrés variables. Ces observations mettent en évidence qu’il n’existe pas de critère strict permettant de différencier fondamentalement humains et animaux en terme de sensibilité.
Vers une reconnaissance de l’égalité animale
La diversité du vivant sur notre planète, avec ses centaines d’espèces – comme les dauphins, lapins, oiseaux ou reptiles – repose sur une capacité partagée : la sensibilité. Tous sont aptes à ressentir la souffrance ou la joie. Il devient donc essentiel d’adopter une regard plus équitable en considérant leur intérêt et leur bien-être. Le principe d’égalité invite à considérer que la douleur d’un animal doit comptabiliser autant que celle d’un être humain, permettant ainsi de refuser toute hiérarchie infondée. Cela ne signifie pas que chaque animal doit bénéficier de droits identiques à ceux de l’homme – par exemple, un chien ne peut pas participer à la vie politique – mais que leur vie et leur intérêt doivent être respectés dans la mesure de leurs capacités.
La lutte contre le spécisme
La bataille pour mettre fin au spécisme implique de remettre en question et d’abolir certaines pratiques, notamment dans les domaines suivants :
- le divertissement : chasse, corrida, cirques et zoos
- l’industrie agro-alimentaire : élevage intensif, abattage, chasse et pêche
- la mode et la maroquinerie : fourrure, cuir et accessoires
- la recherche scientifique : expérimentations et tests sur les animaux
La pratique la plus répandue et la plus critiquée reste la consommation de produits issus des animaux. Adopter un mode de vie végétarien ou végétalien permet d’éliminer progressivement toute utilisation de produits d’origine animale, tels que la viande, les œufs ou les produits laitiers. Le véganisme va encore plus loin en excluant toute composante animale dans tous les aspects du quotidien, comme dans le choix de vêtements ou de cosmétiques non testés.
De nombreuses associations, telles que L214, 269 Life France, ou partenaires comme Tendances et animaux, mobilisent régulièrement pour sensibiliser et agir contre le spécisme. La Journée mondiale pour la fin du spécisme, créée en 2015 par la PEA suisse (Pour l’Égalité Animale), rassemble aujourd’hui une vingtaine de pays engagés dans la lutte contre toute discrimination à l’égard des animaux.